Laïcité « dure » ou laïcité « molle ?…

La gauche se querelle au sujet de la laïcité, la belle affaire ! Après tout diront certains, laissons-la aux prises avec ses propres contradictions, son ignorance, son déni de la réalité. Sauf que ce débat ne concerne pas que la gauche. Car son enjeu est d’une toute autre nature : reconnaître ou non le fait religieux et la place qu’il peut prendre dans nos sociétés. Et à l’inverse, s’interroger sur l’avenir d’une société qui tendrait à nier la quête de spiritualité des femmes et des hommes qui la composent.

Résumons cette querelle et, pour cela, prenons un instant le risque d’une simplification. D’un côté, il y aurait les partisans d’une laïcité qualifiée de « droit de l’hommiste » qui se voudrait respectueuse du droit de chacun de croire ou non, au risque de faire preuve d’un certain angélisme, de ne pas voir ce qui se trame derrière certains groupes de croyants, de se retrouver ainsi – par aveuglement – complice de dérives extrémistes. Une laïcité « molle », en quelque sorte. De l’autre, il y aurait les partisans d’une « laïcité dure », radicaux qui, se situant dans une sorte « d’état d’urgence » face à l’islamisme, entendent protéger la société de toutes les atteintes à la neutralité religieuse. Pour cela, ils n’hésiteraient pas à gommer le fait religieux de l’espace public.

Tout est parti d’une déclaration d’Elisabeth Badinter affirmant qu’il ne fallait « pas avoir peur de se faire traiter d’ islamophobe », et des réactions que ses propos ont suscité (1). Sans doute, la philosophe a-t-elle fait observer avec raison que certaines questions posées suscitent des réactions si brutales qu’elles ont été peu à peu évacuées du débat public. Elle constate, à juste titre, que se faire traiter de raciste, d’islamophobe au seul motif que l’on s’interroge sur l’intégration de populations immigrées, sur la place que l’Islam réserve aux femmes, ou sur l’obscurantisme dont font preuve certains imams dans leurs enseignements aboutit à un déni. Et les questions qui ne sont pas posées ne peuvent trouver de réponses…sauf celles qu’apporte la droite extrême. Et l’on a beau jeu, ensuite, de s’insurger contre les dérives d’un islamisme radical que l’on a laissé se développer…

Mais la polémique a très largement débordé. Si elle donne lieu à une critique en règle des dirigeants de l’Observatoire de la laïcité, elle s’accompagne d’anathèmes, d’attaques personnelles, d’une simplification à l’excès du débat (au risque d’ailleurs, d’utiliser les mêmes procédés que ceux que dénonçait Elisabeth Badinter !). A écouter les partisans d’une « laïcité dure », il n’y aurait d’autre alternative que, soit « défendre la laïcité face aux intégristes et à leurs alliés » soit, à l’inverse, s’accommoder de l’intégrisme « au titre du dialogue interreligieux et d’une laïcité ouverte »(2). Et de s’en prendre – en accumulant des contre-vérités – aux organisations telles que « Coexister » (3), qui rassemble des jeunes, chrétiens, juifs, musulmans ou athées et s’efforce de promouvoir le respect de la diversité des convictions.

Avec cette laïcité « dure », on est bien loin de la conception qu’en avait le législateur de 1905 : la neutralité de l’Etat et le respect à l’égard de ceux qui croient ou ne croient pas. Comme si, aux yeux de ces radicaux laïcs, on ne pouvait à la fois défendre la laïcité, être vigilant à l’égard des dérives intégristes – d’où quelles viennent ! – et observer avec bienveillance les efforts des religions pour mieux se connaître et se comprendre.

En réalité, on en revient toujours au même constat : faute de comprendre le fait religieux (4), certains préfèrent l’évacuer, le faire disparaître de l’espace public. Comme si une telle démarche pouvait, non seulement mettre un terme aux incompréhensions ou à la haine, que celles-ci visent les juifs, les musulmans ou les chrétiens mais, de plus, faire disparaître les racines du mal djihadiste. Au-delà, oublie-t-on que c’est précisément la rencontre d’une quête d’absolu, d’une soif de spiritualité et d’un désir d’engagement total qui conduit certains jeunes vers un islam radical ? Alors, est-ce par l’anathème que l’on résoudra la question ?

(1) E. Badinter avait le même jour sur France Inter, dénaturé la réaction du Vatican au sujet de la couverture de « Charlie » intitulée « l’assassin court toujours » pour s’en prendre directement au Pape. Mais ce sont ses propos sur l’Islam qui ont donné lieu à polémique.

(2) Ce sont les termes employés par l’essayiste Caroline Fourest dans une tribune publiée par Le Monde » daté du 22 janvier.

(3) http://www.coexister.fr

(4) C’est le thème du livre intitulé « Un silence religieux » de Jean Birnbaum sur lequel nous reviendrons prochainement.

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