L’IVG, plus petit commun dénominateur ?

Mais quelle mouche les a donc piqués ? Une décision de la Cour Suprême des USA* , et voilà que certain(es) paniquent en France à l’idée d’une éventuelle remise en cause du droit à l’avortement au point de vouloir l’inscrire dans la Constitution. Pourtant, aucun programme des formations politiques représentées au Parlement ne comporte la moindre remise en cause de la législation en vigueur. Alors, fallait-il, une fois de plus, se laisser aller à la dictature de l’émotion ? 

Nous pourrions faire observer que de ce côté-ci de l’Atlantique, nous assistons depuis des années à une extension quasiment sans limite du droit à l’avortement : allongement du délai permettant à une femme d’avorter ; condamnation des actions qui auraient pour effet de culpabiliser les femmes recourant à l’IVG ; remise en cause de la clause de conscience des médecins, etc. Et les arguments de ceux qui tentent de freiner ce mouvement sont systématiquement balayés. Rien de commun avec la situation des USA où, depuis des années, des activistes ”pro-vie” ** se livrent à un harcèlement souvent violent contre les médecins qui pratiquent des avortements et les femmes qui y recourent  ! Au surplus, notre Conseil Constitutionnel a déjà reconnu l’avortement comme une liberté fondamentale***. Alors, pourquoi procéder de la sorte, et pourquoi cet empressement des macronistes, au moment où l’on cherche encore les contours d’une majorité qui permette de gouverner ? La réponse à la première question tient en quelques mots : les droits acquis par les femmes étant fragiles, toute possibilité de les renforcer doit être utilisée. Et pour certain(e)s, peu importe que ce soit utile ou pas, peu importe que la méthode soit bonne ou mauvaise.   

Plus floue est la réponse à la seconde question. En effet, nous sortons d’une période de crise et d’une étrange séquence électorale au cours de laquelle, nombreuses ont été les remises en cause de nos institutions. Les adeptes du référendum d’initiative citoyenne, les promoteurs d’une VIème République, les tenants d’une révision de notre système électoral et de notre mode de scrutin, etc. partent tous d’un même constat : un essoufflement de notre système démocratique, et la nécessité de trouver les ressorts de sa revitalisation. Nous aurions donc pu penser  que face à un risque de blocage des institutions, face à cette nécessité assez largement admise d’une refondation républicaine, ouvrir la réflexion sur un projet de réforme de la Constitution qui ferait consensus aurait montré une réelle volonté réformatrice.

Hélas, des esprits sans imagination, et sans doute peu soucieux de modifier un système qui leur aura été utible, ont donc choisi de saisir l’occasion  pour tenter de trouver autour de l’IVG les contours d’une impossible union nationale. Car, bien entendu, honnis soient ceux qui oseront s’opposer à une telle proposition, lesquels, seront aussitôt assimilés aux activistes ”pro-vie” les plus radicaux qui sévissent outre-Atlantique. La manoeuvre est de celles qui, en d’autres temps, auraient été dénoncées vigoureusement par les forces d’opposition. Rien de tel aujourd’hui : on acquiesce ou l’on se tait. 

Nous savons qu’en matière de droit, l’émotion est rarement bonne conseillère. Nous savons aussi, pour reprendre les propos d’éminents juristes qu’on ne saurait toucher à notre Constitution que ”d’une main tremblante”. Mais des politiques qui raisonnent à courte vue ne s’embarrassent pas de telles considérations. Et n’hésitent pas à enrôler la cause des femmes en la mettant au service de leurs intérêts politiciens. L’IVG serait-il leur plus petit commun dénominateur ? 

 *Décision qui, il faut le souligner, ne vise pas à interdire l’avortement, mais renvoie la responsabilité de la législation sur ce sujet à chacun des états de l’Union. La nuance est importante.

** Lobby ”pro-vie” qui n’est pas à une contradiction près puisque c’est dans ses rangs que l’on trouve les défenseurs les plus acharnés de la vente et du port d’armes….

*** On lira avec intérêt à ce sujet l’analyse de Bertrand Mathieu, constitutionnaliste et  professeur de droit à Paris I , dans laquelle il souligne notamment que ”le droit en vigueur pose le principe selon lequel la liberté d’avorter constitue un élément de la liberté personnelle de la femme, et relève, dès lors d’une exigence constitutionnelle” . Analyse publiée dans ”La Croix” du 28 juin.

 

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