Mission impossible…

Voilà plus d’un mois, je m’élevais contre cette spirale infernale de la haine dans laquelle nous étions enfermés. Et après m’être astreint au silence durant quelques semaines, je constate que rien n’a vraiment changé. Nous aurions pu, par exemple, traiter de l’Europe puisqu’après tout, nous voilà à trois semaines des élections européennes. Nous aurions pu débattre de la reconstruction de Notre-Dame que certains puristes veulent à l’identique…

Oui, mais voilà : des extrémistes avaient décidé de faire de Paris, ce 1er mai, la « capitale de l’émeute ». Et s’ils n’y sont pas totalement parvenus, ils sont néanmoins venus en force pour des batailles de rue et pour transformer les traditionnelles manifestations syndicales en base arrière de leur tactique de harcèlement des forces de l’ordre. Et, ainsi, détourner ces défilés de leur sens.

Je ne suis pas aveugle au point de ne pas m’insurger contre la violence avec laquelle CRS et gendarmes mobiles frappent, ciblent des journalistes ou transforment par une pluie de grenades lacrymogènes certains espaces en zones irrespirables. Je ne suis pas naïf non plus au point de ne pas comprendre que le pouvoir politique joue l’exaspération de l’opinion. Mais lorsque j’entends l’avocate de la « France Insoumise » Raquel Garrido ironiser sur le fait qu’au Vénézuéla, un véhicule blindé des forces de l’ordre écrase des opposants au régime de Maduro, je ne peux que remarquer qu’à gauche, certains font peu de cas de la vie des hommes et ont une conception à géométrie variable de ce qu’il est convenu d’appeler les « violences policières ».

Lorsque des manifestants attaquent un commissariat à coup de cocktails Molotov sans que cela suscite le moindre étonnement et que, dans le même temps, les réseaux sociaux s’enflamment pour défendre un manifestant qui a reçu un coup de poing d’un policier lors d’une échaufourrée, je peine à comprendre la hiérarchie de l’indignation à laquelle se réfèrent ceux qui soutiennent encore un tel mouvement. Lorsque l’invitation au suicide lancée aux policiers par des « gilets jaunes » n’émeut pas outre mesure ceux qui, depuis 25 semaines mènent dans les rues, sur les ondes et les réseaux sociaux une stratégie de la tension, je m’interroge sur la perte d’humanité à laquelle nous assistons.

Alors, puisqu’après ce 1er mai, la polémique a porté sur la tentative d’irruption de manifestants dans le service de réanimation de l’hôpital de La Pitié – Salpétrière, tentons de résumer cet événement en quelques lignes.

Un Ministre de l’Intérieur, ça doit avoir la main ferme dans un gant de velours tout en sachant qu’il lui sera reproché à la fois d’avoir eu la main trop ferme et de n’avoir pas fait preuve d’assez de mansuétude ; d’avoir, à la fois, laissé la rue à des casseurs et trop usé de la force. Un Ministre de l’Intérieur, ça doit tout savoir de ce qui se passe dans chacune des rues de nos villes et dans le même temps, on répugne à lui donner la moindre information au motif qu’il pourrait en faire mauvais usage. Un Ministre de l’Intérieur, ça doit répondre sur le champ à des journalistes qui le somment de s’expliquer sur des actes qui viennent d’être commis et faire face à ces mêmes journalistes qui, quelques instants plus tard, se sont transformés en accusateurs s’il a commis la moindre erreur d’interprétation à ce sujet. Un ministre de l’Intérieur, ça ne devrait pas répondre à chaud sur un événement en cours, tout en sachant qu’en même temps, il est soumis à l’injonction de répondre, faute de quoi il sera réputé ne pas maîtriser la situation…

Un journaliste qui couvre un événement, ça doit avoir l’œil à tout, surtout à ce que répandent les réseaux sociaux, de peur d’être en retard, ça doit être prompt à se laisser emporter par l’émotion, puisque c’est le partage des émotions qui prime désormais sur les faits ; et ça doit ensuite se raccrocher aux faits lorsque ces mêmes réseaux sociaux le rappellent à l’exigence de la vérité. Et peu importe qu’il ait la mémoire très courte : après tout, il est convaincu ne pas avoir de responsabilité sur le cours des événements…

Force est de reconnaître que, pour certains, une telle polémique est bien utile. Elle évite de rappeler la violence dont font preuve les « black-blocs », ces voyous organisés et entrainés à la guérilla urbaine, qui détruisent, pillent et font couler le sang et sont désormais accueillis avec bienveillance par les « gilets jaunes » et applaudis par les manifestants, y compris dans les rangs syndicaux. Elle permet à ceux qui répandent la haine et la provocation de s’exonérer de leur propre responsabilité devant la dérive à laquelle nous assistons. Elle fait enfin oublier l’abjection de slogans qui se banalisent au point que ceux qui les reprennent ne perçoivent même pas à quel point cela les avilit.

Non, ces affrontements de rue ne sont pas un joyeux remake à grande échelle de scènes de Guignol où des enfants rient de voir un gendarme rossé à coups de bâton ! Car enfin, nous ne devons oublier ni les violences sur les personnes ni les destructions, et surtout que ceux qui trouvent toutes les excuses aux voyous sont ceux-là même qui rêvent d’abattre notre société et se fichent comme d’une guigne de la démocratie, prêts qu’ils sont à s’asseoir sur nos libertés…

Au-delà de la violence, la dérive des mots, la confusion des valeurs et les applaudissements complices révèlent l’abîme dans lequel s’enfoncent peu à peu des pans entiers de notre société pour lesquels l’état de droit, le respect de nos institutions démocratiques et celui des personnes ne comptent plus guère. Au lendemain des attentats de « Charlie Hebdo » ou du Bataclan, nous nous rappelions la nécessité d’un savoir-vivre ensemble. Aujourd’hui, nous en sommes venus au temps de la guerre de tous contre tous. Et dans ce contexte, il n’est hélas pas anodin que pour le Ministre de l’Intérieur, maintenir l’ordre républicain soit devenu mission impossible !…

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