Aveuglements…

Et si le COVID 19 rendait aveugle ? C’est ce que laisse supposer la décision du Conseil d’Etat qui a ordonné le 18 mai au gouvernement de lever « l’interdiction générale et absolue de rassemblement dans les lieux de culte » et d’édicter sous huit jours, des « règles strictement proportionnées au risque sanitaire ». Car, force est de le reconnaître, la cécité a été hélas largement partagée.

Aveuglement du gouvernement d’abord qui, tout à sa bataille contre la pandémie, a voulu desserrer l’étau du confinement avec un luxe de précautions pour les écoles et les entreprises, sans rendre possible le retour au culte pour les croyants des diverses religions. Peut-être aussi redoutait-il, sans pouvoir l’avouer, une affluence dans les mosquées incompatible avec les mesures sanitaires lors de la fête de l’Aïd… Et plutôt que de devoir faire des mécontents en raison d’un calendrier religieux particulièrement dense*, plutôt que d’accepter les propositions de dispositions formulées notamment par les évêques de France, il a préféré porter atteinte, « par une mesure de portée générale et absolue », à la liberté fondamentale qu’est la liberté de culte qui comporte, comme le fait observer le Conseil d’Etat, le droit de participer collectivement à des cérémonies dans les lieux de culte.

Aveuglement des autorités religieuses ensuite, qu’elles soient catholiques, juives ou musulmanes qui n’ont pas souhaité que leur dialogue avec les autorités civiles débouchent sur une épreuve de force. Peut-être aussi redoutaient-elles de se trouver mises au banc des accusés en cas de nouveau foyer de contamination lié à des célébrations religieuses. Le rassemblement évangélique de Mulhouse, qui a largement contribué à la propagation du virus dans l’Est de la France, leur a donné à réfléchir. Aucune d’elles ne souhaitait être désignée comme bouc-émissaire en cas de rebond de la pandémie. Et si l’on excepte le « coup de gueule » sans lendemain des évêques de France, rien n’est venu exprimer leur détermination à réclamer que soit mis un terme aux atteintes à la liberté de culte.

Aveuglement enfin de certains intellectuels chrétiens qui, engagés dans une critique vigoureuse à l’égard de l’institution ecclésiastique, n’ont pas pris la mesure du désir de retour aux sacrements de la part de nombre de catholiques et plus encore de l’importance de la défense de cette liberté fondamentale. Sans doute d’autres urgences telles que la solidarité ou la préservation de la santé leur paraissaient prioritaires. Fallait-il pour autant renoncer à une liberté consacrée par l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ** ?

Le plus navrant dans cette affaire est, au fond, qu’à l’aveuglement du gouvernement se soit ajouté celui de tous ceux qui avaient renoncé au point de laisser la défense de cette liberté fondamentale aux plus radicaux des identitaires, nostalgiques d’une chrétienté révolue. Ceux-là même qui exultent aujourd’hui en se posant comme les seuls défenseurs de la Foi alors que leur discours est un discours d’exclusion, et parfois de haine, bien loin des valeurs évangéliques. Preuve est ainsi faite qu’au combat de la liberté il faut rester lucide et ne jamais renoncer…

* A l’Aïd des musulmans qui marque la fin du Ramadan, du 23 au 24 mai, succèdent les fêtes de Chavouot pour les juifs du 28 au 30 mai et, pour les chrétiens, la Pentecôte le 31 mai.

** Cet article précise que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites »

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