Peur de la mort, peur de la vie…

C’est un ennemi invisible, méconnu, imprévisible. Sans effet ou si peu sur certains, il conduit d’autres à la mort. Depuis des semaines qu’il fait des ravages sur notre sol, comment ne pas éprouver de la peur ? Peur de la maladie, peur de la mort. Pour l’affronter – ou plutôt pour l’éviter – nous nous sommes d’assez bonne grâce reclus chacun chez soi, quoi qu’il nous en ait coûté.

Chaque jour, cette peur est alimentée par les chiffres assénés par nos autorités qui dressent le bilan de ceux qui ont du être hospitalisés et ceux qui n’ont pas résisté. Plus ou moins bien, nos gouvernants ont pris les choses en main, alternant langage guerrier et propos qui, tout en nous faisant la morale, nous dépossèdent de notre capacité à agir. Et les médias nous ont, plus que de raison, abreuvés d’images prises dans nos hôpitaux, de photos de patients entre la vie et la mort, de services sur-encombrés, d’opérations spectaculaires de transferts vers d’autres régions moins atteintes par le virus. Sans compter les heures d’antenne exclusivement consacrées à ce sujet.

Pour faire face à la peur, nous avons nos rituels. Les applaudissements quotidiens pour les soignants qui résonnent en ces soirées printanières comme une manifestation collective de notre bonne conscience. Les manifestations de solidarité : celle, réelle, de ceux qui se sont engagés au service des plus fragiles et celle, plus virtuelle, qui se répand sur les réseaux sociaux. Les liens nouveaux que tissent les applications numériques entre ceux qui ne veulent pas se perdre de vue. Les machines à coudre mises à contribution pour produire des masques en quantité. Et puis ce souci de tromper l’ennui par l’humour et la musique partagés, par la fuite éperdue dans une vie rêvée. Vie d’avant ou vie d’après, c’est selon…

Aujourd’hui, approche le temps de cette libération espérée. Le temps où nous pourrons de nouveau – de manière mesurée il est vrai – marcher dans les rues, retrouver les commerces dont nous étions privés, rendre visite à un proche, élargir le cercle de nos déplacements, et voir nos enfants regagner l’école. Oui. Mais voilà : nous avons peur ! Peur de cet autre qui pourrait être un collègue de travail ou un voisin, un frère ou un ami, et qui serait sans le savoir porteur de l’ennemi invisible. Peur de celui qui, par négligence ou plus probablement par distraction, oublierait l’un de ces gestes barrière sensés nous protéger. Nous avons peur. Peur de nous dé-confiner !

Si nous faisons preuve de lucidité, nous observerons que l’extension sans limite du principe de précaution nous empêche de retrouver notre liberté. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les protocoles élaborés dans l’urgence pour retrouver le chemin de l’école ou du travail. Des règles parfois si éloignées du réel qu’elles rendent ce retour quasi-impossible. Le luxe de détails est tel que l’on s’interroge : avons-nous vraiment envie d’y remettre les pieds ou préférons-nous rester confinés au risque de périr d’asphyxie après l’effondrement de notre économie ? Il est vrai que le moindre manquement à l’un des principes ou à l’une des directives énoncés dans ces protocoles pourrait entraîner la mise en cause de la responsabilité de celui qui aurait été négligent, pour mise en danger de la vie d’autrui. On connaît la suite : droit de retrait des uns, poursuites, procès au pénal…

Serait-ce alors que nul ne souhaite prendre le moindre risque, assumer la moindre responsabilité ? Avons-nous oublié que nous sommes placés malgré nous et tous ensemble dans une situation qui, de mémoire d’homme, n’a pas de précédent ? Serait-ce qu’une fois de plus, collectivement, nous attendons tout de l’Etat y compris l’impossible promesse de protection absolue contre la mort ? Ce qui équivaut à le condamner à l’impuissance. Pas étonnant que nous vivions dans un pays paralysé par l’accumulation de textes et de normes qui constituent autant de handicaps dans un monde qui exige de l’agilité !

Ce faisant, nous ne parvenons pas à nous avouer que ce dont nous avons peur, c’est la vie qui nous attend. Cette vie qui nous conduit désormais à devoir vivre dans l’intranquillité. Cette vie dans laquelle nous devons affronter le risque. Hier c’était celui des attentats, face auxquels nous avons fait front commun. Aujourd’hui c’est celui d’une pandémie qui, sans doute, en annonce d’autres. Demain, ce sera celui des conséquences du réchauffement climatique…

Depuis des décennies, nos sociétés nous ont fait croire à l’illusion d’un progrès sans fin. Au point que nous ne parvenons pas à comprendre aujourd’hui l’incertitude dans laquelle se débattent les scientifiques. Elles ont mis la mort à l’écart au point que nous ne savons plus la regarder en face. Il aura suffi d’un virus importé de Chine pour que notre quiétude se fracasse contre le mur d’une réalité qui se rappelle à nous de la plus brutale des façons. Oui, la vie est à coup sûr une « maladie mortelle sexuellement transmissible ». Et nous la devons à nos parents et aux parents de nos parents. Et à chaque instant, nous courons le risque de la perdre. Ce qui lui donne toute sa saveur… L’avions-nous oublié ?

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