Grèves, manifs, pourquoi ça ne va pas s’arrêter…

Il y a eu les « gilets jaunes », il y a le conflit durable dans les hôpitaux, la grogne dans l’enseignement, la grève dans les transports, chez les dockers ou dans les raffineries, les coupures d’électricité à EDF, les opérations violentes menées par la CGT contre le siège de la CFDT, etc. Autant de manifestations de mauvaise humeur qui ont toutes pour origine des différents comptables : fiscalité et pouvoir d’achat, réduction de moyens et compression de postes, rémunérations et montant des pensions… Omniprésents, les chiffres disent le prix à payer par l’Etat (donc par les contribuables) pour la santé, le maillage territorial des services publics, le statut des agents ou encore le terme de la vie professionnelle réservé aux salariés. Un terme plus ou moins proche, selon que l’on relève ou non d’un statut protégé…

Mais au-delà des querelles de chiffres, ces manifestations de mécontentement social, dont l’ampleur et la durée étonnent nos voisins européens, prennent avec le temps deux autres dimensions.

La première réside dans la désagrégation progressive d’une société qui ne parvient plus à établir un dialogue constructif avec ceux qu’elle a élus pour gouverner. Déconnectés de la réalité quotidienne de nos concitoyens, nos gouvernants semblent enfermés dans une logique comptable et sourds aux appels de détresse comme aux manifestations de mauvaise humeur. Comme en réponse à cette surdité, on assiste à une multitude de réactions catégorielles qui ne parviennent jamais à faire un front du refus. Elles offrent, au contraire, le spectacle d’une atomisation des attentes dans laquelle chacune des catégories concernées reste sourde à celles des autres. Bref, c’est le temps d’un pouvoir sûr d’avoir raison et, face à lui, celui du chacun pour soi. Parfois jusqu’à la haine. Comment, dès lors, espérer renouer les fils du dialogue ? Comment espérer vivre durablement ensemble ?

La seconde dimension rarement évoquée est institutionnelle. Elle tient à la durée des mandats et à notre calendrier électoral. La réduction à 5 ans du mandat du Président de la République et l’inversion du calendrier électoral qui a fait passer les élections législatives après la présidentielle (pour éviter les risques de cohabitation entre un Président et une majorité parlementaire d’opposition), ont un double effet. D’une part, le Président ne dispose que de cinq ans (quatre vraiment utiles) pour appliquer le programme sur lequel il est élu. D’autre part, ce temps très court au regard des lenteurs législatives et administratives aboutit à ce que l’on pourrait appeler une « gestion panique » de la réforme. Celle-ci se caractérise par la précipitation, l’incapacité à établir un véritable dialogue social, et l’absence de pédagogie. Tout cela suscite suspicion et crispations et aboutit à une impasse.

Or, l’impasse conduit inévitablement ceux qui y entrent à devenir des « despérados ». Bref, des « gilets jaunes » aux futurs retraités de la SNCF ou de la RATP, des directeurs d’école et instituteurs aux infirmières des hôpitaux, s’installe peu à peu l’impression que tout rapport de forces est condamné à une impossible traduction politique, c’est à dire à obtenir, par des compromis, des amendements aux projets gouvernementaux. Car la majorité parlementaire, soumise aux désirs du Président de la République, n’offre quasiment aucune perspective de modification substantielle des textes soumis au Parlement. Sans perspective politique, ces mouvements sont condamnés à se durcir, à se radicaliser parfois, et à durer.

Derrière ces crises sociales sans issue, se profile donc une crise institutionnelle qui remet profondément en cause notre pratique démocratique et nos institutions de la Vème République. Pas étonnant dès lors que certains réclament une démocratie directe et que d’autres ne trouvent d’issue que dans la violence. Sans réponse institutionnelle sérieuse nous risquons, à terme, de voir d’autres forces moins scrupuleuses faire main basse sur notre démocratie…

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