Jour de malaise, jour de tristesse…

Il y avait des raisons d’être troublés. Mais ce trouble est devenu malaise voilà quelques jours, lorsqu’au soir du 10 novembre, nous avons découvert que les organisateurs de la manifestation « contre l’islamophobie » avaient jugé utile de distribuer des autocollants associant le croissant et l’étoile jaune et de les faire porter à des enfants. Comme si le sort d’un enfant de confession musulmane dans la France d’aujourd’hui et celui d’un enfant juif dans la France de Vichy, sous l’occupation,  étaient identiques. Auraient-ils oublié que sous Vichy et l’Occupation, il leur eût été impossible d’organiser le moindre rassemblement ? Auraient-ils oublié (ce qu’ils ont sans doute omis d’apprendre à leurs enfants…) que les enfants juifs, eux, ont connu les persécutions, la déportation et la mort ?

Oui, il y a malaise face à cette comparaison indigne qui, en assimilant le sort des musulmans de France en 2019 à celui des juifs lors de la Shoa est une insulte à tous ceux qui ont été conduits vers les camps de la mort. Indigne aussi car elle laisse entendre que notre République n’aurait rien à envier au régime nazi !…

Malaise encore lorsque l’on a entendu le cri de « Allahou Akbar » repris par la foule. Cette foule aurait-elle oublié que ces mots sont les derniers qu’auront entendu les morts de « Charlie Hebdo » et du Bataclan voici tout juste quatre ans ? Ignorait-elle le projet politique que sous-entendent ces mots qui affirmant « Allah est le plus grand », placent la loi de l’Islam au dessus de celles de notre pays. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si ce cri a été lancé par Marwan Muhammad, ancien directeur du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), lequel avait déjà déclaré en août 2011 que personne ne pouvait s’opposer au droit des musulmans « d’espérer en une société globale fidèle à l’islam ». En clair, une société soumise à la loi de l’islam. Bien loin de notre laïcité…

Malaise enfin lorsque l’on s’aperçoit que, sans état d’âme, des militants d’extrême gauche que l’on croyait plus sourcilleux en matière de laïcité, ont participé à cette manifestation sans prendre le soin de se démarquer de ces symboles et de ces slogans. A moins que ce ne soit que manœuvre électoraliste ou naïveté de leur part, eux qui seraient alors les « idiots utiles » d’un islamisme politique conquérant…

Triste 10 novembre pour les relations de notre pays avec ses citoyens de confession musulmane. Parce que derrière la revendication du statut de victime, des activistes ont dévoilé un projet d’une autre nature dans lequel ils ont réussi à entrainer des milliers de personnes : musulmans paisibles, femmes et hommes de bonne volonté qui ne se reconnaissent pas musulmans mais voulaient exprimer leur fraternité, et militants d’une extrême gauche qui se prétend laïque, mais qui ne l’est plus. Tout cela avec en arrière-plan des fondamentalistes qui n’en espéraient pas tant pour viser explicitement les lois de la République. Et la République elle-même.

Triste 10 novembre parce que derrière l’affirmation du statut de victime, il y a une forme d’excuse aux dérives observées dans certains quartiers qui ont d’ores et déjà fait sécession. Un encouragement au communautarisme qui permet de laisser s’imposer dans certaines zones une autre loi que celle de la République. Ce qui rendra leur reconquête encore plus difficile.

Mais c’est aussi un triste jour pour la gauche parce qu’une part d’entre elle, décidément aveugle face à l’islamisme radical *, s’est discréditée en révélant ses incohérences (elle qui se prétend favorable à la libération des femmes et ose défiler avec ceux qui professent leur soumission ?), ses naïvetés (navrantes explications de ceux qui prétendent n’avoir pas vu les étoiles jaunes et pas entendu les slogans !), et son irresponsabilité (ceux qui ont signé l’appel à manifester en s’excusant parce qu’ils n’avaient « pas bien lu », ceux qui ont signé mais ne sont pas venus, et ceux qui n’ont pas signé parce qu’en désaccord, mais sont venus quand même !…).

Cela ne nous fait pas oublier le malaise ressenti lorsqu’une femme accompagnant une sortie scolaire** s’est faite interpeller par un élu d’extrême droite parce qu’elle portait un foulard. Parce que l’humiliation nourrit le ressentiment et le rejet, ruinant les efforts de ceux qui oeuvrent pour l’intégration. Cela ne fait pas oublier non plus le malaise éprouvé lorsque des parlementaires se sont crus obligés de suivre ce mouvement en déposant et en adoptant au Sénat une proposition de loi visant à interdire le port de signes religieux – et du voile – pour les accompagnants lors de sorties scolaires***. Comme s’il fallait à tout prix aller de surenchère en surenchère

Malaise et tristesse enfin, parce que ce qui s’est produit ce 10 novembre ne fait que renforcer les certitudes de ceux qui, d’Eric Zemmour aux tenants de la thèse du « grand remplacement », n’envisagent l’avenir que comme un affrontement intercommunautaire. Oui, décidément, bien triste 10 novembre, pour notre vivre-ensemble…

* Lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Jean Birnbaum « Un silence religieux » (éditions du Seuil) qui montre comment, notamment depuis la guerre d’Algérie, les forces de gauche voulant ignorer le fait religieux, n’ont pas compris et sous-estimé le caractère politique d’un certain islamisme.

** Ne peut-on considérer qu’accompagner une sortie scolaire est un signe d’intégration ?..

*** Ce qui, dans certains quartiers, aboutirait à exclure de ces sorties un nombre important de mères, au risque de pénaliser les enfants en rendant ces sorties impossibles faute d’accompagnants et, en tout cas, de créer une réelle discrimination…

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Une réponse à Jour de malaise, jour de tristesse…

  1. GAYET TURNER dit :

    Editorial lucide, construit et courageux, comme on aimerait en lire dans la presse en kiosque.
    Il y a désormais un peu plus de 7 ans, quand se désagrégeait Athènes, avant l’élection de Tsípras, pour avoir exprimé mon indignation citoyenne en pleine manifestation interdite d’opposants « syriens » réfugiés, criant Allah Ouakbar devant le Parlement grec, j’avais pu être évacuée, avec l’aide de l’Astinomia – police – athénienne.

    Presque une décennie plus tard, à Paris, y-a-t-il eu des citoyens d’Europe, évoquant la Charte des Droits Européens, pour résister et affirmer leur refus d’un tel délit, d’un tel déni de démocratie, comme nous, peuples d’Europe accueillants, nous l’entendons, animés de l’esprit d’Augustin, de François d’Assise, de Constantin ou de Calvin, en tout cas respectueux de la différence culturelle, qui est toujours fondée en philosophie et en religion, sans exclusion et sans réduction.
    Comment ralentir cette spirale de la surenchère des signes, slogans dévoyés, cris réflexes, pour moi c’est un peu comme laisser la cour de récréation à deux clans rivaux qui voudraient occuper tout le terrain de jeu. Enough is enough!
    Comment, cher Bruno, sortir de ce piège qui réduirait l’anthropologie européenne à la guerre originelle entre Ismaël et Israël, aujourd’hui au conflit israélo-palestinien. Notre Europe a été témoin depuis de bien d’autres conflits, d’autres paix. Ne l’oublions pas.
    Merci en tout cas pour cette analyse qui donne à penser. Bravo

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