Nous avions tout faux ! Mais…

Nous avions tout faux ! Nous redoutions les urnes, c’est la rue qu’il fallait craindre… Depuis plusieurs années, nous pensions que les urnes pourraient ouvrir les portes du pouvoir aux populistes de tout poil, les Le Pen ou Mélanchon qui, chacun dans son genre, représente une menace pour notre démocratie. Nous avons même frémi à l’idée qu’en 2017, ils auraient pu se retrouver face à face au second tour de l’élection présidentielle. Nous avons milité, bataillé, écrit pour qu’il n’en soit rien. Soulagés le 7 mai 2017, nous avons pensé que le danger était écarté tant la victoire donne quelques atouts à ceux qui en bénéficient. La défaite quant à elle, rabaisse durablement les prétentions de ceux dont les espoirs ont été déçus, ce qui s’accompagne le plus souvent de règlements de comptes dans leur camp et de discordes durables. Soulagés donc, mais pour un moment seulement car nous étions convaincus que là était la dernière chance pour notre démocratie ; que les cinq ans à venir détermineraient notre sort pour 2022.

Comme tant d’autres, et sur ce blog en particulier, j’ai fait cette erreur. Par esprit démocratique et par légitimisme, convaincu que nul ne viendrait remettre en cause l’issue des deux scrutins successifs de l’élection présidentielle et des législatives. Persuadé aussi que le mandat de cinq ans confié au Président lui donnerait le temps d’agir sans être remis en question chaque matin. C’était faute d’avoir chaussé les bonnes lunettes, faute d’avoir compris que ce qui se passait dans les tréfonds de notre pays, le sentiment d’abandon, la peur du lendemain, l’impression d’un déclassement que rien ne vient arrêter, ne se limiterait pas aux urnes. Je n’avais juste pas imaginé que notre avenir se jouerait aussi sur les ronds-points de nos villes et de nos campagnes comme dans les rues de Paris. J’avais oublié que le séisme électoral qui s’était traduit par la relégation des « partis de gouvernement », n’en était pas terminé pour autant. Oui, les Français avaient choisi la transgression ! Une transgression tranquille croyait-on qui, tout en nous mettant à l’abri des politiques du pire, nous permettrait de relier l’esprit de compétitivité et le souci de la protection sociale en se débarrassant des vieilles lunes socialistes ; d’accorder enfin une forme de fierté nationale avec la volonté de construire l’Europe. Las, ce qui s’était joué dans les urnes n’était rien de moins qu’une comédie en trompe-l’œil car nous n’en avions pas terminé avec un « dégagisme » qui conjugue aujourd’hui incohérence et impatience. Comme s’il fallait aller encore plus loin dans la transgression !

Sans doute glosera-t-on longtemps sur les fautes de communication d’un Président qui, de petite phrase en petite phrase, a laissé croire qu’il n’avait que mépris pour ceux qui ne trouvent pas de travail, n’ont pas l’esprit d’entreprise ou, plus simplement, peinent à joindre les deux bouts malgré les aides dont ils bénéficient. Tout cela alors qu’il tentait de nous dire autre chose. Sans doute nous expliquera-t-on que la réforme de l’ISF constitue la faute originelle d’un quinquennat alors même que notre pays y est attaché non en raison de son efficacité fiscale, mais de manière exclusivement symbolique. Sans doute enfin estimera-t-on qu’il a mis la charrue avant les bœufs dans la mise en place d’une fiscalité écologique, oubliant que d’autres avaient échoué avant lui avec l’éco-taxe. Et puis, oubliera-t-on la complexité de notre système fiscal qui compte pas moins de 252 taxes diverses et auquel jusqu’à présent personne ne s’est attaqué pour le rendre plus juste et plus compréhensible pour nos compatriotes* ?

Sans doute préfère-t-on aussi oublier que moins d’impôts, c’est moins de services publics, moins d’investissements dans l’enseignement, la santé, les transports, la justice, etc. ? Tout comme nous préférons oublier que réformer l’Etat pour le rendre à la fois plus efficace et moins coûteux prendra des années et ne se fera pas sans grincements de dents…

Il reste que lorsqu’un mouvement populaire est dans l’incapacité de désigner ses propres représentants pour engager la concertation avec le pouvoir parce qu’il dénie à quiconque la capacité de parler en son nom, le dialogue est impossible. Lorsqu’un gouvernement recule pour donner des gages de bonne volonté mais se heurte à la surdité volontaire de ceux qui protestent parce qu’ils restent convaincus qu’au final ils seront les dindons de la farce, le dialogue est impossible. Lorsque ceux qui revendiquent entendent imposer l’intégralité de leurs revendications qu’ils qualifient de « directives du peuple» non-négociables, le dialogue est impossible. Enfin, lorsque la seule volonté répétée à l’envi par les plus radicaux, relayée par les réseaux sociaux et par les médias, est de rentrer en force à l’Elysée pour y « rencontrer » le Président de la République, pour lui crier sa rage et son désespoir et même sa haine, cela ne s’appelle pas dialoguer : c’est mettre la République en danger. Comment alors ne pas avoir en mémoire le 20 juin 1792 lorsqu’une manifestation pénètre le Palais des Tuileries et contraint le roi Louis XVI à coiffer le bonnet phrygien ? Sept mois plus tard, il était guillotiné. Un an après, le pays basculait dans la Terreur.

Ne jouons pas les oiseaux de mauvais augure ! Sachons raison garder, contrairement à ces irresponsables qui ont échoué au cours des dernières années et qui aujourd’hui flattent avec bassesse la grogne populaire par dépit et esprit de vengeance. Sachons appeler à la paix civile contrairement à ceux qui dans leurs oppositions au pouvoir affirment aujourd’hui le contraire de ce qu’ils ont prôné hier et soufflent sur les braises au risque de faire progresser l’incendie. Sachons appeler à la bienveillance contrairement à ceux qui ne sont animés que par leur détestation à l’égard d’un homme parce qu’ils ne le comprennent pas autant qu’il semble ne pas les comprendre.

Tout cela n’interdit ni la lucidité ni la vigilance mais, sauf à remettre en cause les fondements même de notre démocratie, le respect de nos institutions passe, quoi qu’on en pense**, par le respect de celui qui a été légitimement et démocratiquement élu. Certains jouent à ce jeu dangereux qui consiste à le désigner à la haine collective et y ajoutent les coups de boutoir qu’ils donnent à notre démocratie représentative. Un édifice républicain qu’il a fallu des décennies de convulsions et de drames pour bâtir et qui, si l’on n’y prend garde, pourrait bien se lézarder et s’effondrer. Il est grand temps de revenir à la raison !

* Après son abandon de l’éco-taxe, François Hollande avait rapidement refermé le dossier de remise à plat de notre système fiscal annoncé par son Premier ministre Jean-Marc Ayrault…

** Il suffit de se tourner vers les USA pour constater que quelque soit l’animosité suscitée par le président élu, sa légitimité n’est en aucune manière remise en cause par ses adversaires.

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