Voltaire, réveille toi, ils sont devenus fous !

Cela ne vous a pas échappé : les débats dits « de société » ne sont, le plus souvent, qu’un simulacre car le temps n’est plus à l’écoute et aux échanges, mais au discrédit et à l’anathème. Et, si l’on n’y prend garde, de plateaux de télévision en réseaux sociaux, tout cela affaiblit notre édifice républicain…

Qu’on en juge : un médecin gynécologue rappelle la clause de conscience reconnue par la loi pour expliquer qu’il ne pratique pas d’avortement et aussitôt, le voilà cloué au pilori, accusé de vouloir porter atteinte au droit à l’avortement. Nul ne s’interroge plus sur le fait que l’avortement est aujourd’hui banalisé au point qu’en 2017 on a compté en France un avortement pour 3,5 naissances*. Le ferait-on d’ailleurs que l’on serait qualifié de réactionnaire au motif que ce serait perçu comme une atteinte à ce qui est devenu un droit. Comme si le seul fait de traiter de ce sujet était « stigmatisant » et « culpabilisant » pour les femmes ayant eu recours à l’avortement. Et observons au passage que rares sont ceux qui s’étonnent qu’une sénatrice socialiste, ancienne ministre, dépose une proposition de loi pour mettre fin à cette clause de conscience. Les journalistes si attachés à la leur auraient-ils des pudeurs pour défendre celle d’autres catégories professionnelles ? La conscience doit-elle être reconnue aux uns et déniée aux autres ?

Qu’on en juge encore : les évêques exposent dans un document leurs réserves, notamment à l’égard de la possibilité pour toutes les femmes de recourir à la PMA et les voilà aussitôt dénigrés, considérés comme illégitimes pour intervenir sur ce sujet. Pour expliquer cette « illégitimité », on évoque tour à tour la place des femmes dans l’Eglise, sa position au sujet de la contraception **, le rapport difficile de l’institution avec les questions relatives à la sexualité, ou mieux encore, les affaires de pédophilie ! Quelle que soient ses fautes passées et ses difficultés présentes, cela rend-il définitivement « illégitime » tout discours de l’Eglise ? En réalité, pour les bonnes âmes si promptes à s’enflammer pour intimer aux évêques l’ordre de se taire, nul besoin d’examiner leurs arguments et de tenter d’y répondre car elles ne veulent pas de ce débat. Il leur suffit de faire référence à ces sujets et, au surplus, d’agiter le spectre d’un clergé voulant dicter sa loi à la République (comme si cela pouvait encore exister !) pour rendre sa parole inaudible. Curieuse conception de la démocratie que celle qui consiste à la réclamer à cor et à cris dans l’institution qu’est l’Eglise et à refuser l’application de ses principes dans la société ! Y aurait-il des citoyens dignes de parole et d’autres qui devraient en être privés ?

Qu’on en juge enfin : le polémiste Eric Zemmour ne manque pas une occasion de se lancer dans de viles provocations sur les migrants, l’Islam ou encore les prénoms à consonance étrangère. Les lecteurs de ce blog savent que je ne partage pas nombre de ses thèses car je ne suis pas de ceux qui réclament des murs ou se replient frileusement derrière les fausses certitudes d’une identité fantasmée. Pourtant, on peut s’inquiéter de savoir ce polémiste menacé de ne plus pouvoir s’exprimer dans les médias car après lui, à qui le tour ? Ceux qui ont lancé une pétition réclamant qu’il soit banni des plateaux de télévision ont-ils mesuré que ce qu’ils entendent restreindre n’est rien moins que la liberté d’expression ? Avec eux, il ne s’agit plus de combattre les analyses de ce monsieur, de prendre au sérieux les questions qu’il pose parfois de façon abjecte : le temps est au déni et à l’interdit. Ils voudraient donner un coup de pouce aux thèses populistes et xénophobes qu’ils ne s’y prendraient pas autrement ! Il est vrai que penser les questions de l’identité et de l’intégration est bien plus difficile et exigeant. Hélas, cela prouve que la paresse intellectuelle peut être liberticide…

Alors, comment ne pas trouver malsaine cette atmosphère dans laquelle la liberté d’expression serait à géométrie variable : accordée aux uns et refusée aux autres au nom d’on ne sait quelle « légitimité » ou de la bienséance du moment ?

Voilà quelques mois, des réveils douloureux nous avaient fait prendre conscience que la Fraternité était la grande oubliée de notre République. Aujourd’hui, obsédés par leurs combats, certains en arrivent à dénier à d’autres le droit de s’exprimer, menaçant ainsi la Liberté – et donc notre démocratie – et nient par là-même le principe d’Egalité. Les voilà mettant à mal notre devise républicaine ! Mais qu’on ne s’y trompe pas : le processus qu’ils engagent est le même que celui qui est à l’œuvre au sein des démocraties « illibérales » qui s’installent avec succès à l’est de l’Europe…

Voltaire avait écrit : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Il semble que ses propos aient été oubliés. Voltaire, réveille toi, ils sont devenus fous !

* Très précisément 216 700 avortements pour 767 000 naissances soit un avortement pour 3,5 naissances en 2017. Comment croire qu’une telle proportion recouvre seulement les situations de détresse pour des femmes auxquelles la loi Veil apportait une solution ?..

** De l’Encyclique « Humanae Vitae » publiée par Paul VI il y a 50 ans, le 25 juillet 1968, et qui traitait de la sexualité du couple et de sa dignité, n’a été retenu que le plaidoyer contre la contraception.

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