« Une main tremblante »…

L’enfer politique est pavé de bonnes intentions ! Bonne intention, le souhait de réduire le nombre de parlementaires et de limiter dans le temps le nombre de mandats consécutifs. Bonne intention, la volonté du gouvernement de mener rapidement les réformes sur lesquelles Emmanuel Macron a été élu. Mais il a suffi d’une proposition visant à limiter le droit d’amendement au Parlement pour que soit dénoncée une tentation hégémonique élyséenne. Et que le Président de la République passe pour un technocrate souhaitant se débarrasser des contraintes de la procédure parlementaire. Pourtant, à y regarder de plus près, force est de constater que, maladresse ou pas, derrière ces propositions, se posent des questions que nous ne pouvons écarter d’un revers de main.

Les dernières législatures ont été marquées par une frénésie législative, le moindre événement suscitant l’émotion de l’opinion appelant alors une réponse, laquelle se traduisait inévitablement par un texte de loi. Un activisme pseudo-réformateur s’est ajouté à cette tendance. Les gouvernements successifs, tentés de camoufler leurs difficultés, se sont livrés à une production débridée de textes conçus dans l’urgence, avec l’aide d’administrations dociles et réactives.

A cette inflation législative a répondu une foisonnante créativité parlementaire provoquant une croissance exponentielle du nombre d’amendements déposés par les députés et sénateurs. Plus de deux mille pour un même texte, cela frise l’absurde !

Il en résulte des lois mal rédigées, confuses et parfois incohérentes, ne tenant aucun compte de celles qui les avaient précédées, et appelant un nombre croissant de décrets d’application qui ont nécessité des mois, voire des années avant d’être publiés au Journal Officiel *. Des lois difficiles à mettre en œuvre et jamais évaluées. En matière législative, créativité et productivité ne sont plus, tant s’en faut, synonymes d’efficience !

On comprend donc que le pouvoir exécutif, élu notamment pour corriger les imperfections de notre système démocratique, ait voulu s’y attaquer. Mais en retenant la voie expéditive de la limitation du droit d’amendement, il a donné la désagréable impression qu’il entend non seulement limiter le rôle du Parlement, mais aussi réduire significativement les droits de l’opposition, de toutes les oppositions.

Impression renforcée – souvent à tort – par le recours aux ordonnances dont les opposants dénoncent systématiquement le « caractère anti-démocratique » en oubliant qu’elles sont soigneusement encadrées par des lois d’habilitation, des contraintes de calendrier et une nécessité de ratification par le Parlement. Ceux qui les dénoncent ainsi préfèreraient sans doute l’enlisement à la réforme…

La réduction du nombre de parlementaires ne relève pas de la même logique. Leur nombre a augmenté de manière significative au cours des dernières décennies et nous en arrivons à un nombre de députés et de sénateurs par habitant supérieur à certains de nos voisins européens. Il serait salutaire de mettre un coup d’arrêt à cette évolution. D’autant que les économies réalisées sur la baisse du nombre d’élus pourraient être opportunément utilisées dans le renforcement des moyens dont disposent les assemblées. Si l’on veut qu’elles soient véritablement indépendantes et plus compétentes, il est grand temps que celles-ci disposent de leurs propres centres de recherche et de leurs experts pour traiter de sujets complexes, sans dépendre des administrations centrales des ministères qui, par leurs analyses et leurs réflexions, influencent considérablement le gouvernement.

Quant à la limitation du nombre de mandats consécutifs exercés, cette question mérite débat. D’un côté, comment ne pas regretter les excès auxquels aboutit l’absence de limite avec une certaine forme de professionnalisation de la vie publique et de confiscation démocratique par des élus qui jouent la carte de l’inamovibilité, appuyés en cela par des logiques d’appareils partisans ? De l’autre, les électeurs ayant le dernier mot, pourquoi ne pas leur laisser la possibilité de donner dans les urnes à un élu de longue date le signal du départ à la retraite ? Vœu pieux, sans doute, et dans ce débat il faudra bien se souvenir que sur un sujet tout aussi important, il a fallu imposer la parité par la loi pour voir augmenter significativement le nombre de femmes à tous les niveaux de notre vie politique…

En France, nous nous sommes habitués à ce que l’exécutif soit constamment tenté de changer les règles du jeu institutionnel. Souvent avec maladresse et imprudence, oubliant ainsi l’exhortation de Montesquieu qui invitait à ne le faire que d’une « main tremblante »…

* Pour ne citer que deux exemples, il aura fallu près de deux ans pour que les décrets d’application de la Loi Claeys-Léonetti adoptée en février 2016 soient publiés au JO… Quant à la loi SRU adoptée en 2000, elle a connu tant d’adaptations (la dernière en mars 2015..) que ses derniers décrets d’application ont été publiés en mai 2017 !… 

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