Bioéthique : la bataille des mots

A l’évidence, la révision des lois de bioéthique et les « Etats généraux » qui ont été ouverts à cet effet, constituent une confrontation entre des conceptions différentes de l’humanité et du droit. La naissance, la mort, l’intelligence artificielle sont au cœur des débats. Nous pourrions nous en réjouir. Mais il y a aussi quelques raisons de s’en inquiéter.

La première inquiétude vient du fait que la question de l’euthanasie et du suicide assisté qu’il n’était pas prévu de débattre ait été ajoutée sous la pression du lobby favorable à l’euthanasie et au suicide assisté. En effet, ce sujet était initialement écarté car la loi Claeys-Léonetti portant sur la fin de vie ne date que de février 2016. Elle avait fait l’objet d’une longue réflexion préalable, de nombreuses consultations, et les dispositions alors adoptées, notamment en matière de soins palliatifs, n’ont pas toutes encore pu être mises en application. Deux ans, c’est un peu court pour revoir une loi sur un tel sujet ! D’autant que le principe qui prévaut en matière de révision des lois de bioéthique prévoit un délai de sept ans entre deux passages au Parlement. Faudrait-il s’en affranchir au seul motif qu’un lobby le réclame ? Faut-il abandonner cette loi Claeys-Léonetti au motif qu’elle n’est pas encore convenablement appliquée sur tout le territoire ? Faut-il consacrer des moyens à donner la mort alors qu’ils manquent déjà cruellement à ceux qui accompagnent la fin de vie dans la dignité ?

La seconde inquiétude est d’une toute autre nature. Elle rejoint la préoccupation d’Albert Camus qui disait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Elle porte sur les termes qui sont employés pour aborder ces débats. Les mots qui peuvent le conditionner et influer sur ses conclusions. Pour s’en convaincre, il suffit de se livrer à un retour en arrière et à un décryptage de ce qui est à l’œuvre aujourd’hui.

Revenons ainsi en 2013 aux débats sur la loi Taubira. Son intitulé officiel était : « loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe ». Par un tour de passe-passe politico-médiatique, elle est devenue « mariage pour tous ». Ce faisant, elle se référait exclusivement à un principe d’égalité. Ainsi, pour rendre inaudibles les autres questions posées à ce sujet, il suffisait de n’en poser qu’une : comment refuser aux uns ce qui est accordé aux autres ? Ceux qui osaient s’y opposer étaient stigmatisés au nom de ce seul principe. Nous connaissons le résultat : un débat tronqué !..

Si nous procédons à un décryptage des sujets abordés aujourd’hui, nous constatons que la même dérive est à l’œuvre lorsque l’on parle de « PMA pour toutes ». En effet, la PMA recouvre les techniques médicales permettant à des couples confrontés à une infertilité d’origine pathologique, d’avoir un enfant par implantation d’un ovocyte dans l’utérus de la femme. Or, l’expression « PMA pour toutes », gomme précisément le fait qu’il ne s’agit plus de remédier à une infertilité pathologique, mais à l’impossibilité pour une femme d’avoir un enfant du fait même de l’absence de relations entre elle et un homme. Qu’elle soit seule ou en couple avec une autre femme. Outre que l’on assiste au même abus du principe d’égalité, on se demande ce que le terme « médical » vient faire ici puisqu’il n’y a pas ici de pathologie qui serait la cause d’une incapacité d’avoir des enfants. A moins que la mission assignée aux médecins ne soit plus de soigner mais de répondre à des besoins particuliers…

La GPA procède du même procédé. Le terme de « gestation » relève du vocabulaire technique et, froidement, camoufle le fait qu’il s’agit d’une grossesse, faisant ainsi disparaître la relation qui s’établit entre une mère et l’enfant qu’elle porte. Quoi de mieux pour obtenir d’elle, ensuite, qu’elle le cède à d’autres ? Par ailleurs, en utilisant l’expression « pour autrui », on donne à cette appellation une connotation altruiste qui dissimule un contrat et passe sous silence l’aspect financier et mercantile de l’opération. Certains osent même aller plus loin en parlant de « GPA éthique », comme pour rassurer et se donner bonne conscience… Cynique dérive du vocabulaire qui occulte deux réalités moins avouables : l’exploitation du corps de la femme et la vente d’enfants !

Le dernier dérapage de vocabulaire concerne l’euthanasie. En imposant dans le débat l’expression « droit de mourir dans la dignité », les partisans de l’euthanasie ont réussi à détourner les mots « droit » et « dignité » de leur sens. Rien que ça ! On peut comprendre – sans y adhérer et en le combattant – le fait qu’ils revendiquent pour eux le « droit » de pouvoir choisir sa propre mort. En revanche, le détournement du mot « dignité » relève de la malhonnêteté intellectuelle. En effet, cela insinue notamment que la seule mort digne serait celle qui est choisie, que la souffrance est source d’indignité… Quel mépris pour les personnes qui laissent la mort venir à elles à son heure ! Quel mépris pour les soignants et les proches qui savent les accompagner dans le respect et la tendresse ! Sans compter que c’est enfin ouvrir la porte à d’autres dérives : le suicide assisté pour convenances personnelles, ou l’euthanasie des enfants, ce qui est arrivé en Belgique. Ou pire encore : la mort programmée de personnes âgées ou atteintes de maladies dégénératives au motif que d’autres estimeraient que leur vie ne vaut plus d’être vécue…

La vigilance nous invite à refuser le piège de tels glissements sémantiques ! Le maître de la propagande nazie, Joseph Goebbels, n’hésitait pas à dire : « nous ne voulons pas convaincre les gens de nos idées, nous voulons réduire le vocabulaire de telle façon qu’ils ne puissent plus exprimer que nos idées ». Retenons la leçon : changer le vocabulaire, c’est changer les idées. C’est donc bien le premier front sur lequel sur lequel se joue une bataille culturelle essentielle car ce qui est en cause ici, c’est ni plus ni moins que la naissance et la mort… et donc l’humanité.

 

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