Kippa interdite !

Vous connaissez la différence entre certains quartiers de nos banlieues et l’Assemblée Nationale ? Il n’y en a pas : il est interdit d’y porter la kippa ! C’est hélas, très sérieusement, la conséquence de la nouvelle instruction édictée par le Président de l’Assemblée Nationale portant sur l’interdiction du port de signes religieux « ostensibles » dans cette enceinte et l’obligation pour les députés d’avoir une tenue vestimentaire « neutre »…

Il a suffi qu’un député se refuse à porter la cravate, puis enfile à la tribune le maillot d’un club de foot pour que le quatrième personnage de l’Etat se saisisse d’une question essentielle : le « dress-code » des députés. Et, de fil en aiguille, en vienne à cette interdiction.

Dans ce qui est le lieu par excellence de libre expression des opinions, dans l’enceinte où doit régner la plus totale impunité pour les représentants du peuple et les idées qu’ils y expriment, les voilà sommés de se soumettre à un diktat vestimentaire portant atteinte à leurs convictions les plus profondes. Et l’on hésite alors à qualifier cette décision de stupide ou inquiétante, en sachant hélas qu’il faut ici répondre : les deux !…

En effet, M de Rugy vient de faire preuve d’une rare stupidité. Car enfin, on ne savait pas la sérénité parlementaire menacée par une croix ou une kippa. A regarder certains débats à l’Assemblée, nous avons plutôt l’impression que c’est le peu de considération que certains portent à leur fonction de député et les invectives auxquelles ils se livrent qui transforment cette enceinte en arène mal fréquentée. Et depuis des décennies, aucun chroniqueur parlementaire n’a noté le moindre incident consécutif à la fugace apparition d’une étoile de David ou d’une main de Fatima… En d’autres termes, par cette nouvelle règle, l’Assemblée Nationale transforme en problème ce qui n’en était pas un !

Là où ils se trouvent, le révolutionnaire Abbé Sieyès, Lacordaire qui réclamait dès 1830 la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’Abbé Pierre qui y défendait l’objection de conscience, ou le chanoine Kir député de Dijon, tous députés en soutane, doivent trouver bien ridicule celui qui, du sommet de son perchoir, perd son temps en pareilles broutilles…

Broutilles ? Oh non, car cette décision constitue ni plus ni moins une violation de l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ! Celui-ci précise que « toute personne a droit à la liberté de penser, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé… ». Serait-ce que les députés ne pourraient manifester un quelconque attachement à leur religion ? La laïcité est-elle à ce point menacée sur les bancs de l’hémicycle qu’il faille leur interdire le plus petit signe visible qui y fasse référence ? La conception de la laïcité à laquelle se réfère M. de Rugy serait-elle supérieure à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ?

En outre, si M. de Rugy s’était sérieusement penché sur la question, il aurait constaté que lors des débats parlementaires de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, Jean Jaurès s’était insurgé contre un amendement proposant l’interdiction des processions religieuses dans les rues au motif que si l’on interdisait les processions, il faudrait aussi y interdire les manifestations syndicales ou politiques. Et l’on ne se souvient pas que Jaurès ait été particulièrement calotin… Manifestation, vêtement, médaille, sigle : quelle différence ? Ce qui vaut pour la rue ne vaut-il pas pour le Parlement ?

Le plus affligeant est que de rares voix se sont élevées au sein de l’Assemblée pour dénoncer les dangers de cette nouvelle règle : seuls les communistes et quelques députés isolés se sont insurgés. En vain. Voilà quelques jours, dans une interview, le philosophe Raphaël Enthoven s’inquiétait à propos des progrès de ce qu’il nommait « le parti unanime ». Serions nous arrivés au point où un « parti unanime », obsédé par sa haine des religions, impose ses règles au Parlement ? Inconscience, aveuglement ou lâcheté ? Qui se souvient encore que Primo Levi avait écrit qu’Auschwitz était la conséquence de « la folie d’un petit nombre et le consentement stupide et lâche d’un grand nombre ». Rien à voir, direz vous ? Pas si sûr : quand la bêtise et la lâcheté se rejoignent, nous avons toutes les raisons d’être inquiets : où s’arrêtera-t-on ?

Pour conclure, nous pourrions tout aussi bien considérer que M. de Rugy n’est pas allé assez loin dans sa volonté d’imposer un certain conformisme à la vie parlementaire. Alors puisqu’il veut des tenues « neutres », proposons lui de faire inscrire dans un futur règlement le port obligatoire d’un uniforme pour les députés. Cela arrangerait tout le monde. Pensez donc : plus de polémique sur le coût des costumes ou les tailleurs des beaux quartiers ! Reste à choisir la couleur. On évitera les couleurs criardes qui sont une injure à l’esthétique des palais de la République. On évitera également le rouge, trop à gauche, et le bleu, trop à droite ; ou encore le vert, pour éviter à M. de Rugy de renouer avec les querelles écolos. Alors choisissons une couleur neutre, pas salissante. Je vous propose le brun. Des chemises brunes, ça vous va ?..

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Une réponse à Kippa interdite !

  1. Bruno Voisin dit :

    En écrivant ce billet, je n’osais imaginer que le même jour, dans les rues de Sarcelles, un gamin de huit ans portant une kippa serait agressé par deux ados d’une quinzaine d’années. Le député de Sarcelles, M. Pupponi est l’undes rares députés à avoir protesté contre cette instruction vestimentaire de l’Assemblée Nationale. Sarcelles est sans doute la ville de la banlieue parisienne qui compte la plus forte communauté juive, et jusque-là, les incidents anti-sémites y étaient plutôt limités. La question mérite donc d’être posée : cette instruction vestimentaire de l’Assemblée Nationale encourage-t-elle ceux qui, dans ces banlieues, veulent cacher les signes d’une religion ?.. Avant d’en imposer d’autres ?
    De surcroit, nous sommes dans une société multi-culturelle qui connaît heureusement la diversité religieuse. Acceptons cela, jusque dans des signes extérieurs comme une richesse et non comme un facteur de division. Et que l’Assemblée Nationale soit à l’image de la société, et non à l’image de l’Etat !..

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