Carmen, Catherine Deneuve et la galanterie…

Dans le bus ou le métro, j’ai plutôt l’habitude de laisser passer les femmes devant moi. Honte sur moi ! Je viens d’apprendre que cette manifestation de galanterie que je croyais être l’expression d’un respect, n’est qu’un « acte de domination machiste »… Et dire que mon fils se comporte de la même manière, et qu’il entend inculquer des principes identiques à son propre fils !… Etre galants nous conduira-t-il demain à être assimilés, par certaines féministes, à de potentiels prédateurs sexuels ? Faudra-t-il que nous nous en repentions en place publique comme au temps de la Révolution Culturelle chinoise lorsque, accusé d’être un ennemi du peuple, il fallait porter un bonnet infâmant avant d’être envoyé en camp de rééducation ? Ou bien faudra-t-il se comporter en goujat ?..

A dire vrai, j’ai quelques inquiétudes quant à la confusion qui s’instaure entre galanterie, tentatives de séduction, harcèlement, comportements inappropriés et violences sexuelles. Il a suffi, pour m’en convaincre, d’observer la violence de certaines féministes à l’encontre de ces quelques dizaines de femmes, dont Catherine Deneuve, qui ont publié dans Le Monde du 10 janvier une tribune dans laquelle elles défendaient la « liberté d’importuner » des hommes, liberté sans laquelle il n’y aurait pas, selon elles, de liberté sexuelle.

L’expression est provocatrice. D’autant que, justement, certains hommes confondent tentative de séduction et comportements déplacés ou gestes inappropriés. Cette tribune méritait donc débat. Justifie-t-elle, pour autant le déchaînement de violence verbale qui s’est répandu sur les réseaux sociaux, considérant, ni plus ni moins, les signataires comme complices de violeurs ? Sans doute la plupart des auteurs de ces tweets vengeurs n’avaient-ils pas lu attentivement cette tribune, mais peu leur importait ! Que ces femmes refusent la confusion entre « drague maladroite et agression sexuelle », voilà qui serait insupportable. Qu’elles rejettent l’idée que les femmes puissent s’enfermer « dans le rôle de la proie », les voilà dénoncées comme traîtresses à la cause… Qu’elles aient le culot d’affirmer que « cette liberté que nous chérissons ne va pas sans risques ni sans responsabilités », on leur répond qu’elles sont « inconscientes ».

N’étant pas une femme, n’ayant été aucunement victime de harcèlement ou de violences sexistes, je resterai prudent dans un débat qui oppose diverses conceptions du féminisme et je me garderai de toute position qui pourrait exonérer de leurs responsabilités ceux qui se comportent en prédateurs. Je ne considère pas, pour autant, qu’il soit interdit d’exprimer sur ce sujet un étonnement : pourquoi faut-il qu’un combat – ô combien légitime ! – s’accompagne non seulement de violences verbales qui montrent bien peu de respect à l’égard des personnes, mais également d’excès tels que se trouve confortée la confusion alors même que la clarification est plus que jamais nécessaire ?

Une telle violence, de tels excès de langage n’auraient-ils pour objectif que de faire taire les paroles discordantes ?

Faisons maintenant un détour par l’art lyrique. On le sait, l’opéra de Bizet, Carmen, s’achève par la mort de la séduisante gitane. Qu’il ait été écrit au XIXème siècle à partir d’une nouvelle de Prosper Mérimée importe peu désormais : pour certains, il n’est pas correct aujourd’hui, en ces temps de lutte contre les violences faites aux femmes, de voir mourir une femme dans un spectacle. Alors un metteur en scène italien a transposé l’opéra dans un camp de Roms en 2017, fait de Carmen la victime d’un Don José devenu un policier fascisant, et c’est celui-ci qui, au final, meurt sous les coups de la gitane.

Ce faisant, le metteur en scène ne s’est pas contenté de porter atteinte à l’œuvre de Bizet et de tromper les spectateurs qui croyaient assister à une représentation de cet opéra. En soumettant l’œuvre à ses visées idéologiques, il a surtout fait preuve d’un totalitarisme qu’avaient manifesté avant lui ceux qui ont toujours voulu asservir la culture. Faudrait-il, pour faire coïncider la trame et le dénouement des productions romanesques, théâtrales et lyriques des siècles passés avec le « politiquement correct » d’aujourd’hui les réécrire ? Y sera-t-il désormais interdit de faire mourir une femme ? Les méchants seront-ils nécessairement des hommes blancs, puissants, et de préférence revêtus d’uniformes symboles de leur violence et de leur perversité ? Faut-il enlever des cimaises de nos musées les œuvres non conformes à ces nouveaux diktats ?…

Décidément, les nouveaux maîtres à penser de la culture qui n’auraient pas supporté qu’on leur impose une quelconque vision idéologique n’ont pas de telles pudeurs avec les œuvres des autres !

La cause des femmes me semble ainsi bien mal défendue ! Pour lutter contre les violences et autres harcèlements dont elles sont victimes, est-il besoin que l’on s’interdise la galanterie ? Est-il besoin que l’on bannisse le mot « séduction » ? Est-il besoin que l’on se livre à une imposture culturelle ? Pour ma part, je préférerai toujours la Carmen qui chante : « l’amour est enfant de Bohème qui n’a jamais connu de loi… »

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