Santa subito !

En avril 2005 à Rome, lors des obsèques du Pape Jean-Paul II, de nombreux catholiques se sont écriés « Santo subito ! », réclamant ainsi qu’il soit canonisé sans attendre. Le 30 juin dernier, quelques heures à peine après l’annonce du décès de Simone Veil, les pétitions commençaient à circuler pour réclamer qu’elle soit inhumée au Panthéon*. Serait-elle déjà considérée comme une sainte laïque ?

Ce parallèle ne plaira sans doute pas à ceux qui, en raison de leurs convictions, n’ont jamais vraiment pardonné à Simone Veil la loi qui porte son nom et qui a dépénalisé l’avortement. Au-delà, il y a lieu de s’interroger sur ce qui a inspiré un tel mouvement, quasi unanime, de l’opinion. Qui cherche-t-on ainsi à honorer ? Serait-ce l’ancienne déportée – matricule 78651 – revenue d’Auschwitz ? L’infatigable témoin de cette tragédie qui se faisait un devoir d’en partager la mémoire ? A moins que ce ne fut l’inlassable militante de la construction européenne qui professait le refus de la haine, l’impérieuse nécessité du pardon entre des « peuples condamnés à vivre ensemble » ?

Un peu tout cela, sans doute, mais aussi plus certainement, la femme politique qui, bien que réservée à l’égard des ultras du féminisme, a permis des avancées significatives de la condition féminine. Et c’est là que les éloges se noient dans cette zone grise où prospèrent les ambigüités, les simplifications hâtives et une manière de réécrire l’histoire au profit d’arrière-pensées fort peu innocentes. Car enfin, Simone Veil n’était pas, tant s’en faut, la militante d’un avortement de convenances ! Oublie-t-on que l’objectif de sa loi de 1974 était de mettre un terme aux 300 000 avortements clandestins auxquelles étaient alors réduites nombre de femmes en détresse ? Oublie-t-on que Simone Veil n’avait cessé de rappeler que « chaque avortement est un drame et un échec » ? Oublie-t-on qu’elle avait pris soin d’encadrer ce « droit à l’avortement » d’un certain nombre de contraintes pour éviter sa banalisation ? Mais tout cela a été occulté par celles et ceux qui ont préféré voir dans la loi de 1974 une porte ouverte dans laquelle ils allaient s’engouffrer pour imposer peu à peu leurs vues. Cela a encore été le cas en décembre dernier avec l’instauration du « délit d’entrave numérique » à l’avortement…

Nous voilà confrontés à l’étrange paradoxe d’une société qui, dans le même temps, honore celle qui avait conçu un texte de loi équilibré et n’a de cesse de rompre cet équilibre. Il est vrai que dans des débats où la passion l’emporte sur la raison, le seul fait d’émettre une opinion qui s’écarte du politiquement correct ne suscite que des sarcasmes. C’est ainsi que la participation de Simone Veil à la « Manif pour tous » avait été moquée par ceux qui se refusaient à y voir l’expression d’une conscience soucieuse du bien commun, toujours cohérente, et considéraient qu’il ne s’agissait là que du signe d’un déclin dû à son grand âge. Leur attitude pourrait se résumer de la manière suivante : quand une grande figure s’exprime, retenons ce qui nous arrange, dénigrons le reste !

Si les visiteurs du Panthéon, après que Simone Veil y ait fait son entrée, ne retenaient que cela et se laissaient prendre à cette dérive, ce serait une tragique méprise. Pire : une forme de trahison à l’égard de ce qu’elle fut.

* Alors que son père, sa mère, son frère, séparés dans l’horreur des camps restent à jamais sans sépulture, comment aurait-on pu, fût-ce au Panthéon, séparer Simone Veil de son mari décédé en 2013 ?

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