Un choix radical

Après une élection hors normes, certains semblent décidés à faire comme si rien ne s’était passé. Un Président est élu ? Qu’à cela ne tienne, à droite et à gauche, tout en espérant l’empêcher de gouverner après les élections législatives, ils entament déjà le procès en illégitimité. Ont-ils oublié qu’avec 41% des électeurs inscrits ayant voté pour lui, Emmanuel Macron n’est pas plus mal élu que Nicolas Sarkozy en 2007, François Hollande en 2012 et bien mieux que Georges Pompidou en 1969* ? Sont-ils si peu respectueux du verdict des urnes qu’ils tiendraient pour quantité négligeable 66% des suffrages exprimés et plus de vingt millions d’électeurs ? Ou, à les écouter, faudrait-il réduire l’explication d’un vote au seul rejet de la candidate d’un parti extrémiste ?

Voilà un an, ce que l’on appelait alors la « tripartition » du paysage politique nous laissait comme perspective une montée irrésistible du Front national et un affrontement au second tour entre sa présidente et le représentant de la droite, tant la gauche était alors divisée et discréditée. Le rejet des partis de gouvernement laissait également envisager le fait que nombre de Français déçus des échecs successifs des politiques de droite comme de gauche, auraient envie d’essayer une solution jamais tentée.

Au final, c’est bien ce qu’ils ont fait ! Mais pas de la manière envisagée alors ! Si l’on divise le corps électoral en catégories et sous catégories, de multiples explications peuvent  être données au résultat sorti des urnes dimanche soir. Mais on peut tout aussi bien trouver à ce corps électoral pris dans son ensemble, une certaine forme de génie. En effet, las des logiques partisanes qui les conduisent à l’échec, les Français ont voulu donner sa chance à une solution jamais éprouvée. Au fil des mois, si l’on excepte les candidatures « de témoignage » qui n’ont jamais suscité d’intérêt significatif dans l’opinion, trois candidatures répondaient à cette quête de nouveauté. En écartant de manière claire Jean-Luc Mélanchon au premier tour et Marine Le Pen au second, les Français ont retenu la solution nouvelle la moins extrême, mais aussi la plus radicale.

La moins extrême parce que les candidatures de la France Insoumise et du Front National portaient des propositions, certes modernisées, mais puisant leur inspiration dans les idéologies qui ont déjà conduit à la ruine et à l’affrontement en Europe au siècle passé. Parce que derrière ces deux candidatures se profilaient des projets aux relents totalitaires, tandis que celle d’Emmanuel Macron se situait dans la plus pure tradition démocratique.

La plus radicale parce qu’en bâtissant en moins d’un an un mouvement « ni de droite, ni de gauche », « et de droite, et de gauche » qui le porte au sommet de l’Etat, Emmanuel Macron transgressait tous les usages et les codes de la politique française depuis des décennies. La plus radicale aussi parce qu’en se situant résolument dans une perspective européenne, il n’hésitait pas à aller à contre-courant de l’opinion eurosceptique dont on ne cessait de nous dire qu’elle était dominante. De ce point de vue, le choix de l’Hymne à la Joie pour faire son entrée de manière solennelle devant le Louvre dimanche soir est éclairant : il nous signifiait que ré-enchanter l’Europe était sa priorité. La plus radicale enfin parce sa démarche transpolitique et pragmatique autant que son âge donnent soudain un coup de vieux aux formations empêtrées dans leurs logiques et leur attachement à des clivages qui, sans avoir disparu, n’en sont pas moins devenus inefficaces.

Si l’élection présidentielle est la rencontre d’un homme avec les attentes des Français, c’est bien cela qui s’est produit le 7 mai. Et c’est bien par rapport à ce constat que les vieilles formations politiques vont désormais devoir se redéfinir.

Bien sûr, cela ne signifie pas qu’Emmanuel Macron ait partie gagnée. Lucide, il l’était bien plus que d’autres il y a un an. Et cette lucidité l’a conduit au succès. Il l’est tout autant aujourd’hui, sachant qu’il ne disposera d’aucun « état de grâce ». Il lui faut, en effet, franchir avec succès les élections législatives et disposer d’une majorité, même relative, qui soit cohérente ; il lui faut engager sa démarche et conduire sa politique sans jamais négliger l’impérieuse nécessité de la pédagogie qui a tant fait défaut à son prédécesseur. Il lui faudra enfin et surtout apaiser les craintes qui se sont exprimées ces derniers mois. Quant à la haine qui s’est déversée à flots ininterrompus depuis des semaines, c’est à nous qu’il appartient d’y mettre un terme. Faute de quoi ce ne serait pas son échec : à coup sûr, ce serait le nôtre !..

* En 2007, Nicolas Sarkozy avait obtenu les suffrages de 43% des inscrits, en 20012, F. Hollande avait recueilli ceux de 39% des inscrits et G. Pompidfou en 1969, 37,5%…

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Une réponse à Un choix radical

  1. Serge Galibardy dit :

    La difficulté à résoudre un problème, dit-on, réside bien souvent dans les limites qu’on assigne à ce problème.
    Le système bipolaire droite-gauche est si bien ancré dans la topologie française qu’il semblait impossible de gouverner et réformer la France hors ce cadre imposé.
    E. Macron, en transgressant ce cadre et en cherchant à agir hors celui-ci vient peut-être de proposer un nouveau système, plus ouvert, plus large et potentiellement porteur d’une nouvelle créativité politique.

    Tout système cherche à s’auto-préserver.
    A gauche comme à droite, les grandes et petites manœuvres pour continuer de survivre vont bon train.

    Les premiers temps seront donc très difficiles car le projet Macron devra résister aux coups de boutoirs portés par les anciens partis et en même temps (tiens tiens!) digérer, transformer et assimiler les forces de ces mêmes partis dans sa nouvelle configuration.
    Si ce que tu dis est vrai, Bruno, des tentations autoritaires qui hantent les partis plus extrémistes, le mode de gouvernement Macron devra, lui, résister à ces tentations et trouver une méthode démocratique « augmentée » pour conduire le changement interne – réformer le pays et ré-orienter les perceptions, et le changement externe – repenser l’Europe en proposant de nouvelles synergies nationales, économiques et sociales.

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