Des mots qui ratent, des mots rassis ?…

Aurait-on oublié le sens des mots ? En deux ans, les mots d’égalité, de fraternité, laïcité, autorité… se retrouvent comme fracassés, par une actualité qui nous met constamment au défi de les faire vivre.

Egalité ? A-t-on oublié l’esprit de cette nuit du 4 août 1789 au cours de laquelle furent peu à peu abolis tous les privilèges de l’ancien régime ? Aujourd’hui, de toute part on entend réclamer le maintien de droits particuliers, d’avantages catégoriels, de prérogatives ou d’intérêts locaux ? Peut-on encore parler d’égalité alors que l’école de la République qui en a longtemps été le creuset, est devenu un lieu de reproduction des inégalités ? Comment peut-on encore afficher ce mot aux frontons de nos bâtiments publics alors qu’une confusion langagière fait croire que l’égalitarisme en est l’aboutissement alors qu’il n’a pour effet que d’ôter des chances aux uns sans en ajouter aux autres ? L’égalité, toujours réclamée, mais au fond jamais vraiment souhaitée, ce qui nous conduit à un constat d’échec que reflétait l’institution d’un étrange et éphémère « Secrétariat d’Etat à l’Egalité réelle » !

Fraternité, en son nom, des centaines de milliers de personnes ont défilé un certain 11 janvier, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’hyper-casher de la porte de Vincennes. Pour elles, liberté et fraternité étaient indissociables. Elles avaient voulu le dire haut et fort par leurs cris et par leurs chants, par leurs gestes de fraternité, par les mains tendues et serrées comme dans une chaîne d’humanité qu’elles voulaient indestructible. Mais devant les vagues de réfugiés fuyant la mort et la misère s’est évanoui cet esprit de fraternité. D’autres attentats ont semé la peur et la haine. Et voilà que nous réclamons des murs et des frontières, voilà que le rejet des pauvres et des migrants s’affiche dans nos villes et nos villages, sur les murs et sur les ondes ! Comme si la fraternité était un mot à l’usage bien sélectif…

Laïcité : de l’installation de crèches à Noël au voile et au burkini, la présence dans l’espace public de références explicites (ou parfois seulement implicites) à la religion affole certains. On assiste à une surenchère de propositions : c’est à qui, dans ses discours, ira le plus loin dans les interdictions, omettant au passage de faire la distinction entre le simple voile et celui qui cache le visage. Jusqu’à envisager de réviser la Constitution ! Et, tandis que l’on fait une fixation sur le port de vêtements en n’hésitant pas à stigmatiser certains de nos concitoyens, des incidents ayant des motifs « religieux » se multiplient dans les hôpitaux et certaines entreprises. A force de vouloir imposer une certaine conception de la laïcité, on en arrive à oublier qu’elle est d’abord neutralité de l’Etat, à oublier de faire respecter de simples règles de vie commune. Laïcité, respect de la différence et des convictions de chacun, invitation à coexister…

Autorité, où es-tu ? Quand avons nous baissé les bras devant les incivilités, dans les écoles et dans la rue ? Serait-ce un sentiment de culpabilité à l’égard de notre passé colonial qui nous aurait rendus si impuissants devant la petite délinquance qui s’installait dans certains quartiers ? Quelle peur nous a rendus incapables de faire respecter la loi et l’état de droit ? Nous sommes-nous trompés sur le sens du mot autorité, en croyant qu’il était nécessairement antinomique de celui de liberté ? Pas étonnant qu’un ministre préfère alors employer le mot de « sauvageons » à l’égard de jeunes dont les actes s’apparentent à une tentative de meurtre. Un terme qui signifie « enfant farouche qui a grandi dans l’abandon et sans éducation », et qui sonne déjà presque comme une excuse… Nous voilà donc rendus au point où, par une succession de postures et de déclarations, on se contente d’afficher un autoritarisme qui n’est que l’aveu d’une absence d’autorité. Et l’on s’étonne que ceux qui sont en première ligne pour faire respecter la loi se rassemblent dans la nuit pour crier : « Assez ! »…

Par quelle faiblesse, quelle fatigue d’être, quels abandons progressifs avons nous oublié le sens de chacun de ces mots ? Si la liberté n’est jamais définitivement acquise, pour chacun d’eux, la réalité de notre quotidien nous rappelle à l’ordre, nous invite à les considérer comme une invitation à leur donner consistance. A laisser de côté l’usage incantatoire que l’on en fait. Bref, leur redonner du sens. Faute de quoi, ils ne seront que des mots qui ratent, des mots rassis*…

* Allusion à une formule autrefois employée par certains adversaires de la démocratie parlementaire : « démocrates, démocratie. Des mots qui ratent, des mots rassis. Des mots, des mots… »

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2 réponses à Des mots qui ratent, des mots rassis ?…

  1. Serge Galibardy dit :

    Vous avez raison, je crois, de proposer cette méditation sur le sens des mots qui désignent les valeurs qui nous fondent et dont nous nous réclamons. En interrogeant les mots que nous employons quotidiennement et machinalement, nous libérons des étincelles de sens qui peuvent nous aider à mieux comprendre et parfois à mieux vivre.
    Dans les années 70, j’avais une vingtaine d’années, je participais à ces mouvements de rébellion qui s’opposaient à toute forme d’autorité.
    J’ai mis longtemps avant de réaliser que ce à quoi je m’opposais, c’était l’autoritarisme, cette pathologie de l’autorité.
    Un jour j’ai découvert que derrière le mot « autorité » se trouvait le mot latin « auctor »; l’auteur, celui qui crée.
    Plus tard, réfléchissant avec des dirigeants à la dimension « autorité » de leur profession, nous travaillions beaucoup sur cette forme d’autorité qui structure, qui crée les conditions favorables pour que les choses s’accomplissent au mieux; l’autorité qui permet, qui crée les conditions du possible.
    Pour revenir à votre propos, loin d’être antinomique du mot liberté, l’autorité devrait rester ce qui permet et structure l’apprentissage et l’exercice de la liberté.

    • Bruno Voisin dit :

      Merci de ce commentaire ! Je crois aussi avoir partagé ce refus de l’autoritarisme qui m’avait laissé croire que je rejetais l’autorité. Et merci de rappeler ici que l’autorité « devrait rester » (c’est à dire ne pas aller au-delà de ) « ce qui permet et structure l’apprentissage et l’exercice de la liberté ». En quelque sorte une condition nécessaire à son épanouissement ! Cela change les choses de penser ainsi ! Merci !

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