Et nous avions changé de monde…

Chacun de nous se souvient de ce 11 septembre, de l’endroit où il était voilà quinze ans, de ce qu’il faisait à l’heure où il a appris que des avions avaient percuté les tours jumelles du World Trade Center. Chacun a en mémoire les images de ces corps tombant en silence dans le vide, de la fumée qui envahit le ciel new-yorkais, de cette poussière grise enfin, se répandant dans Manhattan et donnant à ce matin des allures crépusculaires.

Chacun de nous se souvient de ce 13 novembre, de l’endroit où il était, de ce qu’il faisait à l’heure où il a appris que des tueurs avaient pénétré la salle de spectacle du Bataclan et y exécutaient méthodiquement ceux que l’on croyait encore pouvoir appeler des « otages ». Ou encore de ce 14 juillet à Nice…

Comment pourrait-on oublier la sidération avec laquelle nous avons regardé ces images en boucle, l’incrédulité et l’angoisse qui nous ont saisis en pensant à ceux qui y étaient, à ceux dont nous redoutions qu’ils y soient ? Et, le 13 novembre comme le 11 septembre, nous sommes restés devant nos écrans, muets de stupeur et d’effroi. Sans comprendre…

Ils nous connaissaient trop bien, ces ennemis venus de l’intérieur, de nos quartiers, de nos écoles, que ce soit à New York ou à Paris. Ils nous connaissaient trop bien et nous déversaient soudain ce trop plein de haine qui les habitait, cette violence si forte qu’elle devait à leurs yeux emporter des dizaines, des centaines de femmes et d’hommes. Ils connaissaient trop bien nos faiblesses. Celles des peuples qui chassent la mort de leur quotidien et se trouvent démunis face à des adversaires qui ne la redoutent pas. Celles de femmes et d’hommes qui, submergés par un flot d’images, attendent des réponses simples et rapides à l’émotion qu’elles suscitent.

Ce 11 septembre, nous avions changé de monde mais, de ce côté-ci de l’Atlantique, nous pensions naïvement pouvoir rester à l’abri. Il aura fallu un 13 novembre pour comprendre dans quels engrenages nous pouvions d’être entraînés. La suite, on la connaît : ce fut Guantanamo – zone de non droit ; le Patriot Act qui n’a empêché ni l’attentat de Boston, ni la tuerie d’Orlando ; les mensonges de George Bush ; la guerre en Irak qui devait aboutir à la chute de Saddam Hussein et à la disparition de l’état irakien… Autant de décisions que nous n’avons pas manqué de dénoncer. Et chez nous, ce furent l’état d’urgence, le navrant débat sur la déchéance de nationalité, les querelles sur la laïcité, la surenchère sécuritaire, les menaces sur notre état de droit…

D’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, ces tragédies auront mis à l’épreuve des convictions et des valeurs forgées par des décennies de démocratie et de combats pour la liberté. De part et d’autre, l’irruption de tueurs déterminés aura suffi pour nous conduire au rejet de ceux qui n’ont ni les mêmes origines ni les mêmes croyances que nous. Elle nous soumet, ici comme aux USA voici quinze ans, à la tentation d’un abandon de l’état de droit dans la vaine espérance d’une sécurité sans faille que seuls nous promettent les vendeurs d’illusions. Ceux là même qui croient que montrer ses muscles, c’est faire preuve de courage. Ils oublient – et veulent nous faire oublier – que cet abandon de nos valeurs se paie au prix fort et de façon différée dans le temps. Ils oublient – et veulent nous faire oublier – que le courage, c’est aussi résister à cette tentation.

Saurons nous y résister ?

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