La transparence… au service de la manipulation !

Pour faire une mayonnaise, il faut quelques ingrédients faciles à trouver et les mélanger en les fouettant afin de faire « monter la sauce ». Pour faire une polémique, c’est à peu près pareil : prenez un sujet qui, en apparence, peut être banal ; choisissez des conditions atmosphériques favorables : de préférence l’été car l’actualité tourne alors au ralenti. Il suffit alors d’apporter le tour de main de quelques rédacteurs en chef et journalistes convaincus qu’ils tiennent là un « bon sujet », d’y ajouter quelques politiques en quête de positionnement favorable dans l’opinion et quelques sociologues en quête de reconnaissance. Le tour est joué : vous avez obtenu une très belle « sauce burkini » !

Devant cette polémique, comment ne pas être atterré du jeu pervers qu’ont joué médias et politiques au cours de cet épisode qui aura navré les observateurs étrangers, réjoui les fondamentalistes musulmans et servi les seuls intérêts du FN ! Jeu pervers des médias car enfin, si cette tenue nous renvoie une double question sur le vivre ensemble et la conception de la femme pour certains musulmans, cela méritait-il autant d’heures d’antenne, autant de colonnes dans les journaux, des débats à l’infini sur la nécessité de légiférer ? Comme si d’autres sujets ne méritaient pas davantage d’attention : le drame de familles d’agriculteurs étranglés par les dettes et qui ne trouvent d’autre issue à leurs difficultés que le suicide, par exemple ! Quelques décimètres carrés de tissu valent ils plus que des vies humaines brisées ? Mais sans doute ne s’agit-il là que de réalités trop rurales pour être compréhensibles par des rédacteurs en chef…

Le jeu des politiques qui ont succombé à la tentation est tout aussi pervers. D’une part, ils savaient bien que l’été finissant, cette tenue serait remisée au placard dès la rentrée. D’autre part, ils savaient aussi que surfer sur cette vague leur permettrait de flatter les réflexes racistes et islamophobes de certains de nos concitoyens. Mais comment résister à un micro qui se tend, à l’œil d’une caméra lorsque l’on est prêt à tout pour conquérir ou reconquérir le pouvoir ?..

Cette rentrée nous renseigne d’ailleurs étrangement sur cette attraction-répulsion qui caractérise les liens entre journalistes et politiques. Et il aura fallu qu’un Président de la République en exercice et un ancien président obsédé par l’idée de revanche nous apportent malgré eux un éclairage inattendu sur ce phénomène pour mieux le comprendre.

François Hollande, a toujours apprécié le contact direct avec les journalistes. Nombre d’entre eux peuvent témoigner des nombreux appels téléphoniques, des SMS qu’ils reçoivent de lui, de sa disponibilité pour leur répondre quand ils le sollicitent. Aujourd’hui, deux livres* (un troisième est également annoncé pour cet automne) sont publiés révélant l’étrange détachement avec lequel gouverne le Président qui passe plus de temps à rencontrer des journalistes qu’à échanger avec ses ministres ! En clair, il leur sert des informations pour mieux se servir d’eux. Au passage, on observera qu’un Président qui reçoit impromptu des journalistes pour commenter en quasi-direct l’action gouvernementale rend celle-ci plus difficile et quasi-impossible la tâche de ses propres communicants…

S’agissant de son prédécesseur, on savait qu’il avait hésité entre la carrière de journaliste et celle d’avocat. Il a choisi la seconde parce que plus lucrative et plus propice à satisfaire ses ambitions politiques à ses yeux. Il n’en a pas moins suffisamment observé la première pour en acquérir un réel sens de la communication, pour en comprendre toutes les faiblesses et tous les travers. Au point de savoir, mieux que personne, lui tendre les pièges dans lesquels elle tombe. A preuve, depuis des semaines, les proches de N. Sarkozy avaient expliqué que son entrée en campagne s’accompagnerait d’un mouvement de saturation de l’espace médiatique. Une stratégie annoncée en toutes franchise et transparence. Et qu’a-t-on observé ? Que dans presque tous les médias, les journalistes lui ont déroulé le tapis rouge. Y compris ceux qui lui étaient les plus défavorables. Pas seulement en lui donnant de la place, mais surtout en reprenant sans distance critique son argumentation ! Ils sont ainsi devenus les acteurs de sa stratégie.

Dans les deux cas, nous avons affaire à des personnages narcissiques et cyniques, passés maîtres dans l’art de la manipulation des médias. Et dans les deux cas, nous avons affaire à des médias qui ne sont pas dupes, mais qui s’en font les relais serviles. A ce petit jeu, les journalistes peuvent toujours prétendre être des acteurs de la « transparence », ils sont déjà dépassés par François Hollande et Nicolas Sarkozy qui utilisent déjà celle-ci comme une arme et ont, de ce fait, une longueur d’avance !

Alors, si en cette rentrée, certains ont envie de dire aux journalistes qu’il est temps de ranger le burkini, nous pourrions tout aussi bien les exhorter à faire preuve de davantage de discernement…

* Le premier, « Conversations privées avec le président » des journalistes Antonin André et Karim Risouli est publié aux éditions Albin Michel. Il résulte de 32 entretiens de ces deux jurnalistes avec F. Hollande entre février 2012 et mai 2016. Le second, à paraître chez Stock le 12 octobre prochain est intitulé « Un président ne devrait pas dire ça… ». Ses auteurs sont Gérard Davet et Fabrice Lhomme, tous deux journalistes au « Monde » qui ont eu à cet effet pas moins de 60 rencontres totalisant plus d’une centaine d’heures d’échanges avec le Président de la République entre avril 2012 et juillet 2016.

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