Terrorisme : et si les juristes ?…

Il aura suffi d’un été endeuillé à Nice et Saint Etienne du Rouvray, pour que soit relancé le concours de la proposition la plus sécuritaire. On aura tout entendu : création d’un Guantanamo Français, légalisation de l’internement préventif, mise en cause du principe du droit du sol… Tout cela donne le tournis. Et confirme le fait que, faute de connaître le droit, notre classe politique ne sait plus raison garder.

Parmi les déclarations tonitruantes de l’été, celles de Nicolas Sarkozy demandant que l’on mette un terme aux « arguties juridiques » et se moquant de l’état de droit sont parmi les plus frappantes. Voilà un avocat, ancien Président de la République de surcroît et désormais prétendant à le redevenir qui, aux yeux de l’opinion, balaye le droit d’un revers de main, et laisse entendre aux français que l’on peut ne pas en tenir compte. Propos d’une rare inconséquence !..

Mais faire porter l’entière responsabilité de cette étrange déliquescence sur nos seuls politiques est à la fois injuste et inefficace car les juristes seraient bien inspirés de s’interroger sur la responsabilité qu’ils devraient assumer en de telles circonstances. Certes, ils sont nombreux à dénoncer depuis des décennies les lois mal rédigées, les lois de circonstance ou dictées par l’émotion. Mais sauf à se plaindre du caractère administratif de certaines mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, on les a fort peu entendus formuler des propositions sachant répondre aux exigences des temps que nous traversons. Et lorsque l’on sait que l’un des assassins du Père Jacques Hamel portait un bracelet électronique, on reste rêveur devant l’inefficacité de la machine judiciaire face à une radicalisation islamiste – antichambre du terrorisme !

Or, faute de réponses adaptées des juristes c’est, n’en doutons pas, le discours de ceux qui font peu de cas de l’état de droit qui l’emportera. L’action et le contrôle des juges seront ignorés, ce qui menacera durablement nos libertés publiques. Alors, si les juristes se mobilisaient enfin, pour ne pas laisser le dernier mot à des politiques tentés par la surenchère en période pré-électorale ? Pourquoi n’engageraient-ils pas une réflexion collective sur la manière de répondre à la menace d’un type nouveau à laquelle nous sommes confrontés, les individus concernés ne craignant pas la mort ? En clair, les juristes pourraient se pencher sur plusieurs questions majeures et y répondre par des propositions redonnant toute sa place au pouvoir judiciaire : jusqu’où peut aller la surveillance d’individus suspectés de radicalisation ? Comment concilier liberté religieuse et combat contre un fondamentalisme religieux qui rejette les principes de notre République et débouche sur la violence ? La radicalisation constitue-t-elle un délit d’opinion passible de peines préventives de privation de liberté ? Si oui, comment définir et organiser ce régime de privation de liberté ? Comment préparer la réinsertion d’individus radicalisés ? Une fois une peine exécutée, un individu qui reste radicalisé peut-il être remis en liberté sans autre forme de procès ?.. Sans être naïf sur les limites de l’exercice, c’est une approche globale et novatrice de toutes ces questions qui permettra d’améliorer la sécurité de nos sociétés, et donnera à nos concitoyens l’impression que la question du terrorisme est prise à bras le corps.

De telles questions, de tels débats abordés par les politiques le sont le plus souvent à partir d’événements qui suscitent l’émotion et en fonction de clivages, de postures et de calculs à courte vue. Cela se traduit par des propositions brouillonnes, peu soucieuses de notre droit et souvent inapplicables, ce qui fait à la fois le jeu du FN et des islamistes. Nous en avons vu les effets avec le navrant épisode de la « déchéance de nationalité ». Nous savons aujourd’hui que les règles de « l’état d’urgence » ne suffisent pas. Les juristes, eux, peuvent aborder ces débats autrement. Avec le souci de s’inspirer des grands principes généraux de notre droit, une haute conscience des enjeux de la bataille qui est engagée (enjeux en matière de sécurité, de droit des femmes…), et en faisant preuve de créativité.

Les juristes de droit civil savent ce que l’on doit aux travaux de certains d’entre eux – et en particulier les congrès des notaires – pour avoir fait évoluer le droit. C’est le cas en matière de successions, en matière de régimes de protection des personnes vulnérables, en matière immobilière… Parce qu’ils savent concilier les exigences du droit et le regard quotidien de praticiens proches des réalités. Les pénalistes ne peuvent-ils s’en inspirer pour répondre aux urgences de notre temps ? Pour ne pas laisser, sur ce terrain, la parole aux seuls politiques. Pour ne pas laisser à la seule machine administrative le soin de gérer cette question. Pour éviter enfin que le pays de Montesquieu n’abandonne l’esprit des lois au profit de lois de circonstances.

* Droit du sol qui est, au demeurant en France, loin d’être le plus ouvert de tous les pays occidentaux !

 

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Une réponse à Terrorisme : et si les juristes ?…

  1. Bruno Voisin dit :

    Pour compléter la réflexion, on lira l’interview du Procureur de Paris, François Mollins dans « Le Monde » daté du samedi 3 septembre.

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