Prendre la mesure de notre impuissance… et après ?

Les vacances commençaient. Après l’Euro de foot, la fête nationale battait son plein, prélude à quelques semaines de répit et de repos. Et puis la mort aveugle a frappé. Au matin, sur les Champs Elysées, la France se donnait le spectacle de sa puissance militaire. Au soir, à Nice, elle prenait la mesure de son impuissance. Et son désarroi marquait la fin de son insouciance.

Insouciance, happée par une course folle qui nous a rappelé que, désormais, nul n’est à l’abri de la menace et que celle-ci peut être des plus improbables. Pourtant, nous aurions dû le savoir puisqu’en novembre dernier, on nous avait appris simultanément que nous étions en guerre et que, dans ce contexte, se tenir à la terrasse d’un bistrot pouvait s’apparenter à un acte de résistance…

Une fois de plus, l’émotion – légitime – a envahi l’espace public, saturé les médias parfois jusqu’à l’indécence. Et à cette émotion, certains politiques ont répondu en se lançant dans une quête sécuritaire aux allures de course aux idées folles. Pourtant, l’état d’urgence était encore en vigueur. Pourtant, Nice est l’une des villes de France les mieux équipées en moyens de vidéo-surveillance. Pourtant, le conducteur du camion qui a semé la mort était inconnu des services de renseignements, et donc impossible à identifier avant qu’il ne passe à l’acte…

Qu’importe : l’on a assisté depuis la nuit tragique à une débauche de critiques et à une surenchère dans laquelle les propositions les plus absurdes ont prospéré. Si la polémique est navrante, si la récupération est indécente, une chose est sûre : elles montrent la désunion de la société française alors même que l’unité devrait l’emporter pour faire face. Il reste cependant que bien des interrogations demeurent : si l’on sait depuis des mois que Daech préconise le mode opératoire qui a été employé à Nice, comment comprendre que des moyens de protection adaptés n’aient pas été mis en place ? Si des foyers de radicalisation et de propagande de l’islam radical prospèrent sur notre sol et sont clairement identifiés, pourquoi aucune mesure n’a été prise pour les réduire au silence ?..

Nos gouvernants sont prompts à afficher leur émotion et leur solidarité. Mais est-ce ce que l’on attend d’eux ? Les responsables de l’opposition multiplient les déclarations à l’emporte-pièce au risque de faire ressurgir les vieux démons de la haine et du racisme. Et certaines de leurs propositions, parfois des plus fantaisistes, font douter du sérieux de leur réflexion à ce sujet.

Les uns et les autres, hélas, ne semblent pas avoir pris la meure de la menace. Une fois de plus, ils manifestent seulement leur incapacité à penser la réalité à laquelle nous sommes confrontés : une guerre asymétrique avec un ennemi qui ne connaît ni la peur de la mort ni la logique de la guerre conventionnelle ; le combat contre un ennemi – Daech – que l’on croit localisé mais qui s’est diffusé dans notre société comme autant de métastases d’autant plus meurtrières qu’elles sont isolées ; une confrontation avec une idéologie qui n’est que la perversion d’une religion, et que l’on est incapable de regarder en face, précisément parce qu’elle a un rapport direct avec un fait religieux que notre société laïque préfère occulter.

Tous oublient d’écouter ceux qui ont engagé la réflexion sur l’identification des menaces et la manière de combattre. De crainte de stigmatiser une population musulmane, ils passent outre la nécessaire éradication de foyers de radicalisation dans les centres culturels et religieux où sont mises en pièces les valeurs de notre République. Par peur des réactions des défenseurs des droits de l’homme, ils évitent les débats sur la nécessaire adaptation de notre droit à la réalité de cette menace d’un type nouveau. Or faute de réflexion sur chacun de ces sujets, ils s’engagent dans une impasse, celle d’une pensée à courte vue alors qu’il faut voir large et loin. Ils se condamnent à l’impuissance et donc à l’échec et risquent de laisser le champ libre à ceux qui, de manière expéditive, prétendraient éradiquer le terrorisme par la violence à l’encontre d’une communauté.

Enfin, ils en oublient l’indispensable préparation de l’opinion à une bataille idéologique et culturelle au moins autant que policière et militaire et à laquelle chaque citoyen est appelé. Un combat qui sera long et incertain. Et qui sera aussi douloureux car après celles du 13 novembre, celles du Bataclan et de Nice, nul doute hélas qu’il fera encore des victimes…

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2 réponses à Prendre la mesure de notre impuissance… et après ?

  1. GAYET Anne dit :

    Bravo, Bruno et il faudra aussi, après le repos bien mérité et apprécié comme un retour aux sources de satisfaction ordinaires, travailler dans l’interdisciplinarité, avec des psycho-sociologues ouverts, et avec des sémiologues. Objectif : élaboration d’une nouvelle conduite et d’un nouvel usage des medias. En se rappelant notamment quelle outrance provoque notre rapport exhibitionniste à l’image sur l’inconscient collectif d’héritiers d’un refus de l’image musulman, encore plus viscéral que l’iconoclasme. ou le courant puritain protestant.
    En effet les lois désormais ne sauraient suffire, il faut le concours COURAGEUX mais prudent de la société civile.

  2. Bruno Voisin dit :

    Merci ! Pour un nouvel usage des médias, il faut inviter les journalistes à faire preuve de vigilance quant à la vérification de l’information, au respect de la dignité et à être attentifs aux mots à employer. Et oui au concours courageux de la société civile. Qui ne pourra se faire sans oeuvre pédagogique…

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