Le peuple a toujours raison… ou pas ?

Voilà une de ces polémiques dont raffolent les réseaux sociaux. Et qui enflent à grande vitesse tant leur logique nous invite à la réaction, et surtout pas à la réflexion ! * Il suffit d’une phrase pour que l’on tire des conclusions définitives et que l’anathème frappe celui qui l’aura prononcée.

Cela a été le cas (à quelques jours du 14 juillet !), avec cette déclaration de Daniel Cohn-Bendit qui lui vaut des expressions telles que « bulbe en voie de ralentissement », « tentation totalitaire » ou encore, en réplique, cette phrase de Brecht : « ne serait-il pas plus simple de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? ». Qu’avait-il donc dit sur France-Inter le mardi 5 juillet au sujet du vote des britanniques en faveur du « Brexit » pour mériter une telle volée de bois vert ? Qu’il faut « arrêter de dire que le peuple a toujours raison » car, a-t-il rappelé, « quand un peuple vote pour le nazisme, il n’a pas raison » !

Lorsqu’Alain Minc qui déclarait que le vote britannique était « la victoire des gens peu formés sur les gens éduqués », il y avait toute l’arrogance d’un homme sûr de lui et de son appartenance à « l’élite ». Rien à voir avec les mots employés par Daniel Cohn-Bendit. Pourtant, l’ancien leader de mai 68 avait osé ! Osé mettre à bas le dogme du peuple souverain qui, à l’instar d’un roi de droit divin, ne peut jamais se tromper. Le dogme de l’infaillibilité populaire en quelque sorte ! Et s’il avait raison ?

Car, après tout, entre le fait d’affirmer que le peuple s’est trompé et le fait de ne pas respecter sa décision, il y a un fossé qui sépare la démocratie de la dictature**. Et, pour paraphraser le général de Gaulle, serait-ce à son âge que Daniel Cohn-Bendit va « entamer une carrière de dictateur » ?

En réalité, au-delà de la polémique qui vise un homme, deux questions sont ici posées : le peuple peut-il se tromper ? Et s’il se trompe, serait-ce qu’il a été trompé ?

Oui, il ne faut pas craindre d’affirmer que le peuple peut se tromper. Il se trompe lorsqu’il choisit par les urnes ceux qui le conduisent au désastre. Daniel Cohn-Bendit peut se permettre de rappeler que le peuple Allemand avait démocratiquement choisi Hitler, lui dont les parents avaient fui la persécution dont étaient victimes les juifs dans l’Allemagne nazie. Mais on peut tout aussi bien rappeler que dans les années qui ont précédé la seconde guerre mondiale, le peuple Français avait refusé d’entendre les voix qui l’appelaient à la vigilance, et préféré un pacifisme mortifère. Le même peuple Français qui, en juin 40 et dans les mois qui ont suivi, a soutenu Pétain… Serait-ce donc malséant de rappeler que le peuple peut se tromper ?

Oui, le peuple peut se tromper. Et refuser d’évoquer cette hypothèse, c’est au mieux de la naïveté, au pire, du déni. De surcroît, la grandeur du politique est de savoir, à la fois, respecter les décisions du suffrage universel et, parfois, agir contre les tendances de l’opinion telles que nous les révèlent les sondages. D’ailleurs, s’il avait fallu suivre l’opinion, Robert Badinter n’aurait jamais pu faire abolir la peine de mort ! …

Mais le peuple se trompe parfois parce qu’il est trompé. En l’espèce, s’agissant du référendum britannique, force est de constater que depuis la victoire du « Leave », ses plus ardents promoteurs ont déserté la scène politique, incapables d’assumer les conséquences de la tromperie dans laquelle ils s’étaient engagés. Boris Johnson qui avait choisi ce camp par calcul plus que par conviction se trouve dépassé par les résultats du vote et pris à son propre piège. Nigel Farage qui a – de son propre aveu – utilisé le mensonge pour atteindre son objectif se retire en prétendant qu’il n’a plus rien à faire puisqu’il ne visait que ce résultat. L’un et l’autre révèlent la face peu glorieuse de politiques suffisamment démagogues pour sacrifier le sort d’une nation sur l’autel de leurs ambitions ou de leurs obsessions, et assez lâches pour ne pas en assumer la responsabilité.

Au-delà de l’exemple britannique, nous pourrions fort bien méditer – pour le présent comme pour l’avenir – cette fable du peuple qui se trompe parce qu’il est trompé. Et François Hollande, aujourd’hui contesté en raison de ses reniements qui sont une autre forme de mensonge en politique, en est pour nous la plus récente illustration. D’une autre manière, nous pourrions tout aussi bien nous interroger sur la tendance de certains dirigeants politiques qui, l’œil rivé sur les sondages, repoussent l’idée d’accueillir davantage de réfugiés, font assaut de déclarations confondant autorité et autoritarisme, stigmatisent telle ou telle catégorie de population, ou encore préconisent des solutions simplistes faute de savoir apporter des réponses à la complexité.

Ainsi, faisant semblant donner raison aux électeurs, ils les trompent plus sûrement. Faut-il alors s’étonner que le peuple se trompe ? Et faut-il s’étonner qu’il rejette ensuite la cause de ses errements sur la tête de ceux qui l’ont trompé ?

* Une polémique dont la virulence n’a eu d’égale que la brièveté, balayée par la perspective de la finale de l’Euro de football.

 ** Jacques Julliard a eu, dans les colonnes de « Marianne » et sur un tout autre sujet, une formule que l’on retiendra : « La démocratie ne consiste pas à affirmer que le peuple a toujours raison, mais qu’il suffit de ne pas prétendre avoir raison contre le peuple ».

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Une réponse à Le peuple a toujours raison… ou pas ?

  1. GAYET Anne dit :

    En effet, un respect mutuel est à reconquérir, afin que dans le dialogue entre les peuples et leurs gouvernants, leurs élites, naissent à travers le dissensus, de nouvelles formes de démocratie. Quant aux petites phrases, seules celles prononcées par les grands hommes finissent par durer; loin du culte de la riposte spectacle oubliée dans la semaine;

    une Rocardienne décalée

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