Réforme du droit du travail : une occasion manquée ?

On peut s’interroger sur la gestion calamiteuse, par le gouvernement, du projet de loi visant à réformer le droit du travail. On peut tout autant observer que les opposants à ce projet, feignant de poser de légitimes questions, multiplient les arguments de mauvaise foi. Il reste qu’avec cette crise qui dure maintenant depuis près de trois mois, nous aurons manqué une belle occasion de nous interroger sur ce que devient le monde du travail.

Les uns ont l’obsession de ne pas perdre une once des droits et des prérogatives qui leur ont été octroyés en d’autres temps. Les autres se sont crispés sur leur volonté de faire –symboliquement au moins– bouger les lignes. Tous n’ont que le salariat dans les grandes entreprises pour modèle. Tous ont oublié que le monde du travail de 2016 n’est plus celui des années 90. Or, ces deux postures ont, quoi qu’en pensent ceux qui les adoptent, placé le pouvoir patronal au centre des débats. Les premiers le combattent, les seconds veulent lui donner davantage de souplesse dans la gestion des salariés. Et, en délaissant petites entreprises et nouveaux acteurs économiques, leur affrontement ignore l’extrême diversité des parcours professionnels. En particulier ceux des jeunes.

Il est fini le temps où une vie professionnelle se déroulait de manière linéaire dans la même entreprise. Nous savons désormais que tout au long de sa carrière, une même personne changera plusieurs fois d’employeur, de métier et de statut. Parfois même en combinant divers statuts au cours de la même période (salarié en CDD à temps partiel et auto-entrepreneur, par exemple). Sans compter les périodes de formation pour appréhender de nouvelles techniques, un nouveau métier, changer d’orientation.

Dans ce contexte, et même s’il ne s’agit pas d’acter la fin du salariat, la question ne devrait donc plus se poser de savoir si l’on est favorable ou non à ce que certains appellent la souplesse, et d’autres la précarité. La question ne devrait pas davantage se limiter à la place du curseur entre droits des salariés et facilités accordées à l’entreprise (sans pour autant la négliger). Mais de nouveaux modes de consommation et de vie se développent à grande vitesse, facilités par les plateformes et techniques numériques qui bouleversent nos pratiques. Ils ouvrent des marchés nouveaux, créent des concurrences inattendues, et surtout induisent des manières différentes de travailler dans le temps et dans l’espace, heurtant de plein fouet toutes les réglementations en vigueur.

La question que l’on doit donc se poser, en tenant compte de ces nouvelles réalités, porte sur la manière de placer les personnes au centre du dispositif. Sachant qu’elles connaîtront des ruptures et des parcours éclatés, comment leur donner tout au long de leur vie professionnelle, les ressources qui leur permettront de vivre, la capacité de s’adapter pour relever les défis de leur propre employabilité et des droits quant à leur protection sociale et leur retraite ? Bref, il s’agit moins de combattre une certaine idée de la précarité que d’apporter la protection de la collectivité à ceux qui y sont confrontés. Non pas dans une vaine logique d’assistance, mais dans une perspective dynamique des parcours professionnels.

Sans doute le Compte personnel d’activité envisagé dans le projet de loi « El Khomri » constitue-t-il un pas timide dans cette direction. Reste que cette disposition est bien isolée. Et l’on peut craindre que l’actuelle partie de bras de fer qui se joue entre le gouvernement et la CGT sur ce projet de loi ne nous interdise durablement toute réflexion globale sur l’adaptation de notre droit aux nouvelles formes de travail.

Voici plus de vingt ans, le Commissariat général du Plan avait demandé à une commission de mener la réflexion sur le thème « le travail et l’emploi, en France, à l’horizon 2015 ». Ses travaux, animés par le journaliste Jean Boissonnat avaient alors été rendu publics*. Dans ses conclusions, Jean Boissonnat écrivait : « tant que nous n’aurons pas compris qu’un certain type de salariat, adapté à un certain âge de l’économie, a vécu parce que nous sommes entrés dans un autre âge de l’économie et de la société, nous oscillerons entre la nostalgie et la déception. Il est temps de regarder l’avenir ». C’était en 1995. Depuis, a-t-on vraiment regardé l’avenir du monde du travail pour éviter nostalgie et déceptions ?

* « Le travail dans vingt ans » Rapport de la commission présidée par Jean Boissonnat éditions Odile Jacob – La Documentation française – 1995

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