Harcèlement sexuel et libido sociale

« Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… » Cette phrase d’Albert Camus dans son roman inachevé, « Le Premier homme » pourrait résumer la distance qui devrait demeurer entre désirs, pulsions et passage à l’acte. Une phrase que devrait aujourd’hui méditer l’un des dirigeants du parti écologiste accusé de harcèlement sexuel. Cette affaire, révélée parce que certaines de ses victimes ont décidé de rompre la loi du silence, provoque une large indignation. A juste titre : ce type de comportement qui dépasse le sexisme ordinaire doit être vigoureusement condamné, en particulier par la Justice.

Ce rappel sans ambiguïté étant fait, laissons de côté la polémique un peu vaine sur ceux qui savaient et se voilaient la face ou sur la stupide assimilation de tels comportements à une « gauloiserie » bien de chez nous. Laissons également de côté le caractère toujours troublant du lynchage médiatique auquel donne lieu ce type d’affaire. Et interrogeons nous sur une sorte de schizophrénie à laquelle peu à peu s’habitue notre société. Qu’on en juge…

En ce début de printemps, sur les murs du métro parisien, des affiches vantent un service de restauration à domicile en présentant deux couples qui, cartes en mains, jouent au strip-poker : l’une des jeunes femmes est en train de dégrafer son soutien-gorge. Il y a quelques mois, une association se faisait brocarder parce qu’elle demandait en justice la condamnation d’un site internet de rencontres spécialisé dans l’adultère. Au début de l’automne 2015, la ministre de la Culture engageait une procédure afin d’obtenir la levée de l’interdiction aux moins de 18 ans d’un film présentant des scènes de sexe non simulées. Le 2 mai dernier, TF1 a commencé la diffusion, à 20h55 – heure où l’audience est familiale – le premier épisode d’une série racontant l’histoire d’une professeure de collège qui entre deux péripéties pédagogiques ou familiales, « se tape », de manière explicite, le principal du collège.

Sur France-Inter, une chroniqueuse qualifiée d’humoriste nous raconte des histoires de fond de culotte. Dans le cadre de l’émission de France 2, « On n’est pas couché », un acteur qui par ailleurs ne manque pas de talents, drague ouvertement une journaliste et évoque clairement ce qu’il a dans le pantalon. Enfin, à intervalles réguliers, des personnes qui défendent la fidélité au sein des couples sont ridiculisées sur les antennes du service public.

Il y aurait bien d’autres exemples. Et il est de bon ton d’en rire. Car aujourd’hui, il est du dernier chic de parler de sexe à tout propos, de faire rire avec des histoires de cul. Et malheur à celui qui ne rirait pas de cet étalage public !

Oui, « un homme, ça s’empêche, ou sinon »… Pourtant, sans tomber dans la pudibonderie, faut-il vraiment s’étonner du comportement intolérable de l’un ou l‘autre lorsque c’est toute la société qui, pour se prétendre « libérée » d’interdits sur le sexe, le banalise, s’érotise jusqu’à faire résonner étrangement le slogan de mai 68 « Jouissons sans entraves ! ». Cette affirmation du droit au plaisir fait oublier que respecter l’autre, le sexe opposé, ce n’est pas le considérer comme objet de désir, un désir de surcroît à satisfaire sur le champ. Et s’il n’est pas question de refouler, réprimer le désir, alors où s’établit la frontière entre la libido qui s’étale sur les écrans et sur les murs et ce qu’il convient de « s’empêcher » ?..

Et l’on voudrait que les ados d’aujourd’hui, y comprennent quelque chose ? Et l’on voudrait que les femmes et les hommes de demain sachent, à l’avenir, maitriser leurs pulsions ?…

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