Le divorce sans juge, une fausse bonne idée ?

Par la voie d’un amendement, le gouvernement s’apprête à faire passer une réforme des divorces par consentement mutuel. Pour éviter le passage devant le juge, il suffirait pour un couple désireux de se séparer, de faire établir une convention de « démariage » par des avocats, convention qui serait ensuite enregistrée chez un notaire. Il s’agit là d’une vieille idée qui resurgit en cette fin de quinquennat de François Hollande, alors qu’elle avait été lancée – à quelques détails près – en janvier 2008, dans les premiers mois du mandat de Nicolas Sarkozy.

Mais une telle réforme, dont on peut au demeurant s’étonner qu’elle survienne au travers d’un simple amendement, pose quelques questions et cache des réalités moins avouables.

La question principale est celle de la protection du plus faible. Les juges et les avocats savent que derrière nombre de divorces par consentement mutuel, c’est à dire supposés faire l’objet d’un accord entre les époux, il y a en réalité un divorce imposé par celui qui désire reprendre sa liberté, et subi par celle (le plus souvent) ou celui qui est prêt à l’accepter pourvu qu’on lui laisse la garde des enfants, notamment… Combien de ces divorces se traduisent dans les faits par une pension ou une prestation compensatoire non versées… et jamais réclamées, car tout est préférable au conflit pensent certains ! Combien de ces divorces sont suivis quelques années plus tard par la tentative de séduction à coups de cadeaux, du parent qui s’était éloigné en direction de ses enfants devenus ados. Le parent qui avait accepté le divorce pour garder ses enfants se trouve alors une deuxième fois trahi. Doublement cette fois : par son ex-conjoint et par ses enfants…

Ne nous trompons pas : de tels divorces prétendument « par consentement mutuel » sont en réalité des répudiations cachées que seule tempère la présence du juge. On pourra toujours faire observer que des précautions seront prises en présence d’enfants. Il n’en reste pas moins vrai qu’elles semblent bien illusoires* et que la disparition du juge n’annonce rien de bon quant à la protection du plus faible, conjoint et enfants.

On pouvait d’ailleurs attendre du notaire qu’il joue ici le rôle d’un magistrat de l’amiable, chargé en quelque sorte de veiller au consentement éclairé et libre de chacune des parties. Mais le fait que son rôle (défini dans l’amendement soumis au vote des députés) soit limité à un simple acte d’enregistrement, ne constitue ni une reconnaissance de cette magistrature amiable qui fut la sienne à l’origine de la création de sa fonction, ni une opportunité pour les conjoints de bénéficier d’un conseil impartial. La présence d’avocats – chacun le sien – assurera, nous dit-on, l’équilibre car ceux-ci devront, in fine, parvenir à un accord pour que la convention soit enregistrée par le notaire. Mais en est-on bien sûr ?

Sous couvert de simplifier (et, soi-disant, de dédramatiser) le divorce, cet amendement cache d’abord une altération profonde du mariage. Celui-ci est prononcé par le maire – officier d’état civil, en mairie, à l’issue d’une cérémonie publique. S’il suffit pour le défaire d’une simple convention organisant le démariage, fut-elle homologuée par un notaire officier public, il devient un simple acte de droit privé. Que cet affaiblissement de l’institution du mariage ne préoccupe pas le chef de l’Etat ne surprendra pas : il n’a jamais montré de grandes convictions sur ce sujet. Qu’il aille jusqu’à privatiser un acte qui jusque-là relevait du juge étonnera davantage.

Car, au final, le simple fait que ce soit le Ministre de la Justice lui-même qui ait déposé cet amendement, est un dramatique aveu de sa part. Aveu du fait que les divorces sont aujourd’hui traités de manière indigne par des magistrats submergés de travail et qui ne peuvent y consacrer le temps que la simple décence demanderait, compte tenu de leurs enjeux. Aveu aussi que cette situation n’est pas près de s’arranger car ce n’est pas demain que la Justice disposera des moyens nécessaires pour assumer ses missions avec dignité.

Alors, le discours de la simplification, celui de la dédramatisation de ces divorces devient l’alibi d’un Etat impécunieux qui n’a plus les moyens d’exercer dignement ses missions régaliennes, qui pour ne pas remettre en cause par ailleurs une fonction publique trop lourde, préfère privatiser partiellement les missions qu’il confie à ceux qui rendent leurs jugements au nom du peuple Français. Cela lui évite de s’interroger sur les missions qu’il ne peut déléguer, et celles qu’il devrait abandonner dans la perspective d’une gestion sobre des deniers publics. Mais sans doute est-ce trop demander à notre Etat que de faire preuve de sobriété ? Et de discernement ? …

* Il est seulement prévu que le juge intervienne si les enfants le demandent ! Rappelons que le projet lancé sous N. Sarkozy prévoyait le divorce par consentement mutuel devant le seul notaire et seulement en l’absence d’enfants mineurs.  

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