« Combler un vide de légitimité » ?…

« Combler le vide de légitimité dans lequel se prennent aujourd’hui les décisions » politiques. Tel serait l’objectif de « Nuit debout » si l’on en croit un appel diffusé le 7 avril dernier par Camille Delaplace, pseudonyme utilisé par les animateurs de ce mouvement. Cette curieuse expression souligne à la fois ce qui fonde ce mouvement, ses dangers et ses limites.

Parler de « vide de légitimité », alors même que le Président de la République, le gouvernement et la majorité parlementaire sont issus du suffrage universel peut sembler un contresens. Car dans notre démocratie, seul le suffrage universel est source de légitimité. Au surplus, nos institutions donnent assez régulièrement la parole aux électeurs pour que l’on ne remette pas en cause cette légitimité. Sauf que nous sommes sans doute arrivés à un point critique pour nos institutions.

En effet, depuis des années, nous observons la multiplication des lois conçues sous le coup de l’émotion après un accident, un tragique fait divers ou des révélations de la presse. Comme pour donner l’illusion qu’ils reprennent la maîtrise du cours des événements et ne pas donner l’impression qu’ils seraient en retard d’une émotion, nos dirigeants décrètent et légifèrent à tout va. En oubliant que cette démarche donne le tournis aux électeurs et surtout, les persuade du caractère inefficace des mesures prises et de l’amateurisme de ceux qui les conçoivent.

Il en résulte une sorte de « vide de légitimité » que confirme la faiblesse du soutien de l’opinion au Président de la République et au gouvernement. Les courbes de popularité le démontrent cruellement : il n’y a plus qu’une minorité de nos concitoyens à leur faire confiance, la défiance est au plus haut. La démocratie d’opinion – celle des sondages – a déjà rendu son verdict, lequel semble sans appel : à défaut d’avoir été votée par les députés, la défiance des électeurs est nette et d’ores et déjà actée par les médias. La démocratie d’opinion s’est ainsi substituée à la démocratie de représentation dans l’impatience d’un scrutin qu’il faudra encore attendre un an !

Plus inquiétant, parler de « vide de légitimité », c’est exprimer le rejet de nos institutions et plus précisément des principes de représentation démocratiques qui les fondent. C’est la manifestation d’une défiance non pas seulement à l’égard de nos gouvernants, ni à l’égard des forces politiques de notre pays dont l’offre ne semble plus répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens, mais à l’égard de l’idée même de délégation de pouvoir par le biais du suffrage universel.

Et c’est là qu’il convient d’être vigilants. A écouter et à lire certaines déclarations, on trouve des relents d’anti – parlementarisme, une haine des politiques qui rappellent de sinistres discours prononcés aux heures les plus sombres de notre histoire. Ajoutons que malgré le caractère sympathique des processus d’expression et de délibération adoptés Place de la République, le refus de toute forme de représentation peut, si l’on n’y prend garde, faire basculer le mouvement dans une logique totalitaire. Celle de l’entre-soi qui exclut, celle du conformisme d’une majorité qui écrase les paroles divergentes, celle enfin – on l’a vu il y a quelques jours – qui, en refusant de les condamner, laisse libre cours aux violences et aux atteintes à la dignité.

Il y a pourtant, dans cette volonté de débattre, les ferments d’un renouvellement de notre manière de faire la politique. Notre démocratie représentative repose sur des mécanismes concurrentiels. Ceux qui permettent de sélectionner parmi des candidats les plus aptes à nous représenter et à exercer le pouvoir. Cela à l’issue d’un parcours, tant au sein des partis que dans les médias et face à l’opinion, qui n’est pas, reconnaissons-le, de tout repos.

Or, l’échec des politiques, les promesses non tenues, le discrédit de la classe politique où certains font preuve d’une pathétique absence d’éthique de la responsabilité, risquent de conduire au rejet de notre système démocratique. Nos concitoyens sauront-ils échapper au désenchantement et éviter cet écueil ? En tout état de cause, ils ont relevé de manière significative leur niveau d’exigence. Pour eux, plus question de se laisser conduire par des élus auxquels ils auraient donné un blanc-seing. Désormais, ils entendent les placer sous contrôle, ne pas les laisser agir à leur guise. Et pour cela, passer à une démocratie délibérative.

Depuis 2015, à Saillans dans la Drôme, une démarche locale de démocratie délibérative est engagée. La Primaire des Français lancée il y a peu par divers mouvements dont le Pacte Civique, s’inscrit dans cette même logique. Ce qui les distingue de Nuit Debout, c’est précisément que leur volonté de renouvellement de notre République n’implique ni le rejet des acquis de notre démocratie concurrentielle, ni l’entre-soi. C’est en ce sens qu’ils sont porteurs d’avenir contrairement à Nuit debout. Parce que ce mouvement solidement ancré à la gauche de la gauche exclut ceux qui ne lui ressemblent pas. La voie la plus sûre pour échouer dans sa volonté de « combler le vide de légitimité » qu’il dénonce…

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