Pas touche aux fonctionnaires !

La manière dont Emmanuel Macron s’est faire recadrer en dit long sur le tabou que constitue, pour la gauche, le statut de la fonction publique. Et le tohu-bohu auquel a donné lieu cette petite phrase du ministre de l’économie lâchée dans un cercle restreint montre bien qu’il y a là une réforme à laquelle jamais la gauche ne se risquera. D’ailleurs, la réplique venue de tous les rangs du PS ne portait pas sur le sujet évoqué – le statut de la fonction publique – mais visait une défense en règle des fonctionnaires eux-mêmes présentés comme victimes d’une attaque injustifiée. Le procédé est clair : pour éviter d’aborder la question posée on en dénature le sens. Et ce faisant, on discrédite tout à la fois la question et celui qui la pose.

Certes, crier haro sur les fonctionnaires serait à la fois injuste et vain. Injuste car nombre d’entre eux ont un réel sens de l’Etat et du service public. Et tous ne sont pas des privilégiés. Vain car la critique globale est simpliste alors que d’une fonction publique à l’autre (services de l’Etat, fonction publique hospitalière, fonction publique territoriale..), les conditions de travail, les contraintes, les modes d’organisation varient.

Il reste que le statut de la fonction publique date de 1945, et que certaines de ses dispositions sont aujourd’hui anachroniques. Est-il impossible, dans une société où une part importante de la population est menacée par le chômage de s’interroger sur la légitimité d’une garantie de l’emploi réservée à une seule catégorie de salariés ? Peut-on seulement en rappeler le fondement (assurer l’indépendance des fonctionnaires face aux pressions politiques et la continuité du service public) et se demander s’il se justifie pour toutes les catégories de fonctionnaires ? A-t-on seulement le droit d’observer que les règles en vigueur pour l’avancement, toujours lié à l’ancienneté plus qu’au mérite, ne favorisent ni l’implication dans le travail, ni l’excellence de l’action accomplie, ni une gestion dynamique des carrières ? Or, à l’évidence, tout cela prive l’Etat de la capacité d’adaptation dont il a plus que jamais besoin.

Pour autant, poser la question du statut des fonctionnaires en se contentant de réclamer l’égalité entre salariés du privé et ceux de la fonction publique (sur les sujets de la garantie de l’emploi ou de l’absence de jour de carence en cas d’arrêt maladie, par exemple..), c’est faire une erreur de raisonnement. Et, ce faisant, risquer de passer à côté de l’essentiel. En effet, la première question qu’il convient d’aborder est celle des missions de l’Etat et des collectivités territoriales. Si l’on souhaite un Etat et des collectivités publiques sobres, c’est à dire moins coûteux pour le contribuable et moins producteurs de dette publique, il faut au préalable se demander quelles doivent être leurs missions, à quoi ils doivent servir. Tout en étant lucide sur le fait que poser cette question, c’est aussi envisager de renoncer à certaines de leurs missions actuelles. Mais après tout, pourquoi pas ? N’attendons-nous pas trop de l’Etat ? Cela mérite bien un débat. Ce serait l’honneur des politiques de l’ouvrir. Emmanuel Macron l’a esquissé dimanche dans le cadre du « Monde Festival ». Ce serait l’honneur de notre démocratie que de permettre aux Français d’y répondre par un choix clair.

La question du statut des fonctionnaires n’est pas anodine, car derrière elle se cachent d’autres questions plus complexes encore. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’à peine ouvert, le débat a été brusquement refermé…

Sur le même sujet, on lira avec intérêt le blog du journaliste politique François Bazin : http://lirelasuite-francoisbazin.fr/blog/

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4 réponses à Pas touche aux fonctionnaires !

  1. L’Etat (personnel politique, administrations, institutions) fait (bien) vivre un tel nombre de personnes qu’il est peu vraisemblable qu’il se remette lui-même publiquement en question.
    Le débat que tu préconises devra à mon avis s’imposer par d’autres voies : nécessités économiques, obligations européennes ou internationales ou (moins probable) mouvements citoyens.

    • Bruno Voisin dit :

      Il est en effet rare qu’une institution se remette en cause d’elle-même. Quant au débat, aujourd’hui peu importe qui le lance. Observons cependant que s’il est imposé de l’extérieur (Europe…), cela risque de renforcer des crispations. Faut-il la stratégie de la « tenaille » : Europe d’un côté, mouvements citoyens de l’autre ?…

  2. Martin Dromard dit :

    Je trouve intéressant la proposition de réformer le statut de fonctionnaire (et je suis fonctionnaire !) et je sens que tu touches du doigt, Bruno, quelque chose que l’on à pas l’habitude d’énoncer : réformer oui mais pour en faire quoi ? Et ceci est rafraîchissant parce que le statut de fonctionnaire est autant un épouvantail que le code du travail ou les « charges » sociales pour une bonne partie de la population qui y voit le plus grand des maux et qui perd tout sens de la mesure et toute capacité de réflexion lorsqu’on aborde ces sujets. Donc réformer oui, il faut repenser ces statuts anciens et inadaptés. Mais là où je ne suis pas d’accord c’est que tu repartes encore de cette rengaine qui date des années 80 et qui nous dit qu’il y a trop d’Etat. Cette rengaine qui a si bien marché que l’Etat a perdu de l’importance dans tous les pays occidentaux, même en France (moins que dans d’autres pays il est vrai) et que les inégalités ont explosées dans ces mêmes pays au fur et à mesure que l’Etat s’effaçait. Cette rengaine est née du néo-libéralisme économique. Doctrine qui n’interroge en aucun cas la quête d’une société plus juste et plus égalitaire ou plus heureuse mais d’une société plus efficace économiquement parlant, ce qui en soit n’est pas mal. Malheureusement, plus efficace ne veut pas dire que ces productions supplémentaires ou ces valeurs ajoutées ne soient réparties de façon juste entre ceux qui ont contribué à les créer. Nous laissons la politique à l’économique. Dans ce cas là, il n’est pas besoin de ce concerter, nous n’avons plus la main. Petite question : pourquoi est-ce le ministre de l’économie qui parle de réformer un statut qui participe autant à ce qu’est la France (oui Bruno, la fonction publique ne fabrique pas que de la dette publique, même si c’est malheureusement ainsi que sa production est insérée dans le PIB). Alors quand il s’agit de réformer, pourquoi ne pas tenter d’imaginer ce qui serait le plus bénéfique du point de vue de la cohésion de la société, de la capacité des fonctionnaires à apporter le service le plus efficace possible à la communauté, et non de se baser sur une réduction des coûts et des droits qui ne ferait qu’ajouter le désarroi de millions de fonctionnaires à celui-ci de leur concitoyens du privé qui n’en seront pas plus heureux du fait que ces fonctionnaires soient devenu aussi précaires qu’eux. Mais je dis oui à ce fameux débat, en espérant qu’il vole haut. Aller, un peu d’imagination, allons vers le haut et pensons économie-mixte, économie sociale et solidaire, réinventons notre société mais pas uniquement en ayant l’efficacité économique en ligne de mire.

    • Bruno Voisin dit :

      Je suis d’accord. Se limiter à demander une réforme de ce statut au seul motif qu’il serait archaïque serait donner raison aux tenants d’un libéralisme effréné. C’est la raison pour laquelle la réforme de l’Etat doit être plus profonde. La question est celle des missions de la fonction publique, de son rôle dans la régulation de l’économie, du poids des administrations centrales. Bref, comment mieux répartir les fonctionnaires sur le territoire, leur confier des missions en lien plus direct avec les besoins réels de la population, leur redonner un rôle de lien social qu’ils perdent peu à peu ? En somme, concilier un modèle administratif français, une réelle culture de service public, et efficacité économique… Ce débat doit être lancé. Et comme tu le dis, en espérant qu’il volera haut. Je ne vois pas pour le moment nos politiques l’ouvrir. A nous, citoyens, de l’engager !

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