Ces mots interdits…

Etre tolérant, c’est reconnaître que l’autre peut être porteur d’une vérité qui me dérange, et qu’il mérite le respect. Et cet autre peut être Michel Onfray comme n’importe qui. Oui, je reste convaincu que ce philosophe se trompe lorsqu’il s’en prend aux religions qui seraient selon lui « animées d’une même pulsion de mort », tandis qu’il mène un combat en faveur de l’euthanasie (allez comprendre !)… Mais Michel Onfray est aussi le créateur de l’Université populaire de Caen. Il est aussi de ceux qui combattent la GPA, cette possibilité de « proposer aux femmes chômeuses de louer leur utérus pour gagner leur vie »…

Alors, quand il subit une attaque en règle de « Libération » et de quelques autres, lorsque Laurent Joffrin, directeur de ce journal et procureur autoproclamé au service de la bien-pensance, le range parmi les « obsédés de l’identité », ce qui – péché mortel – revient à en faire un « allié objectif » du FN, je ne peux m’empêcher de penser que quelque chose ne tourne pas rond dans notre débat public.

Car qu’a dit Michel Onfray qui suscite à ce point la virulence des attaques ? Que « nombre de questions sont désormais impossibles à poser », qu’ « interdire une question, c’est empêcher sa réponse », que « criminaliser la seule interrogation, c’est transformer en coupable quiconque se contenterait de la poser »… En fait, Michel Onfray ne nous dit pas autre chose que ce qu’affirmait Laurent Fabius dans les années 80 lorsqu’il déclarait que « Jean-Marie le Pen apportait de mauvaises réponses à de bonnes questions ». Sans doute, le directeur de Libération qui connaît ses classiques ne l’a-t-il pas oublié. Comme il ne peut avoir oublié que depuis plus de 30 ans, ces mêmes questions n’ont trouvé aucune réponse satisfaisante, ni de la part de la droite classique, ni de la part de la gauche, faute pour elles d’avoir osé s’y intéresser. Ce qui le gêne aujourd’hui, c’est donc que ces mêmes interrogations renvoient toute la classe politique (singulièrement la gauche et le PS), face à ses propres inconséquences, face à son incapacité à penser les mutations du monde et le trouble qui en résulte dans la tête des français. Or, ce qui serait faute vénielle pour une droite qu’on n’attend pas sur ce terrain devient péché mortel pour une gauche supposée détenir le magistère de la pensée…

Désormais, utiliser le mot d’identité devient aussi suspect que parler d’Islam, ou d’immigration, car cela revient à se retrouver malgré soi dans les rangs des racistes ou des xénophobes. Quant à employer le terme d’intégration, n’en parlons pas : cela aboutit à se faire accuser de néo-colonialisme. Car prôner l’intégration de populations immigrées serait vouloir leur imposer une nouvelle soumission… Bref, le dictionnaire des mots interdits s’allonge régulièrement.

Des intellectuels de gauche tels que Jacques Julliard et Jean-Claude Michéa * avaient déjà dénoncé la rupture qui s’est établie entre le PS et le peuple. Un parti résigné à ne pouvoir réduire les inégalités et n’ayant plus pour horizon que d’accorder de nouveaux droits à des minorités. Aujourd’hui, c’est au début d’une autre rupture que nous assistons : celle qui  sépare peu à peu un nombre grandissant d’intellectuels d’avec la gauche. Une gauche qui commencerait à avoir peur des mots, et qui, faute de pouvoir mettre des mots sur nos maux, préfère brandir l’anathème.

Après tout, dira-t-on, c’est le problème de la gauche. Sans doute. Sauf que cette crispation du débat autour de ces questions est d’une autre gravité. En effet, la violence des diatribes lancées à l’encontre de ceux qui tentent de les aborder, le discrédit systématique dont ils sont l’objet, ont un effet dissuasif. Comme si une « police de la pensée » était à l’œuvre alors même que précisément, il est urgent de ne laisser le monopole de ces questions ni à la droite extrême, ni à la droite de la droite.

Oui, il faut se pencher sur les questions d’identité, d’immigration, d’intégration. Oui, il faut le faire dans le respect tout à la fois de ces français qui se sentent menacés et de ceux dont la présence sur notre sol doit être comprise comme une valeur ajoutée. Avec la certitude que, loin de la nostalgie d’un passé révolu cela ne peut que nous aider à accueillir le monde ouvert qui nous attend. Le grand européen qu’était Otto de Habsbourg affirmait que « celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va », car « le passé est la rampe de lancement vers l’avenir ». L’identité, en quelque sorte. Alors, tout à la fois, rejetons le dictionnaire des mots interdits et, à ceux qui disent « c’était mieux avant », répondons : « En avant » !

* voir sur ce blog la note de lecture consacrée à leur ouvrage « La gauche et le peuple »

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