Réformer le Droit du Travail ou réformer le Droit ?

Parmi les dossiers de la rentrée, celui de la réforme du Droit du Travail est l’un des plus importants. Contrairement à ce que penseront certains, ce n’est pas seulement parce qu’elle pourrait apparaître, après la « Loi Macron », comme un marqueur de la capacité réformatrice du gouvernement et de son courage à affronter les ultras de son propre camp, mais parce qu’un tel chantier constitue une opportunité de remettre enfin à plat un des monstres juridiques auxquels a abouti la « créativité » législative de nos gouvernements successifs. Ses quelques 8 000 articles (35 pages pour les seules lois qui portent sur les CDD !) en font un édifice si complexe qu’il en devient inapplicable par un patron de PME isolé et qu’il dissuade des investisseurs étrangers.

Ce n’est donc pas un hasard si, à droite comme à gauche, ont été engagées des réflexions en vue de réécrire ce Code du Travail. Et la manière d’aborder ce chantier sera essentielle. Celle-ci peut devenir un enjeu de lutte entre une droite nécessairement vue comme favorable aux « intérêts » du patronat et une gauche plus ou moins attachée de manière dogmatique à la « défense » des salariés. La seule question sera alors la manière de positionner le curseur entre ces deux extrêmes. Et nul doute que chacun des chapitres de ce Code du Travail donnera lieu, avant réécriture, à d’âpres débats auxquels les organisations syndicales et patronales apporteront leur contribution. Avec le risque de voir les postures des uns, les surenchères des autres, faire échouer ce dossier.

De ce point de vue, la démarche proposée par Robert Badinter el le Professeur Antoine Lyon-Caen dans un ouvrage publié en juin * mérite que l’on s’y arrête. Elle consiste à laisser de côté les détails et à se positionner sur des principes – une cinquantaine – qui pourraient constituer le socle de référence régissant les relations contractuelles employeurs – salariés. Cela laisserait aux conventions collectives, aux négociations, et à la jurisprudence, le soin de régler le détail et d’adapter les règles aux spécificités de chaque branche et de chaque entreprise.

L’intérêt d’une telle méthode dépasse, et de loin, le seul cas du Droit du Travail. D’abord, parce qu’elle permet des débats qui, en s’attachant aux principes essentiels, réduiraient certains clivages traditionnels entre la droite, la gauche, et la gauche de la gauche. Ensuite et surtout, parce qu’elle s’attaque à l’inflation législative, mal qui ronge notre démocratie. Quel juriste, en effet, ne s’est pas insurgé contre la multiplication de lois et l’excès de normes en tous genres constituant un carcan absurde qui paralyse et dissuade les initiatives ? A chaque événement qui suscite une certaine émotion dans l’opinion, les politiques répondent par de nouvelles lois. Et pas seulement en matière pénale. Il en résulte des textes mal rédigés, confus, des dispositions contradictoires et, au bout du compte, mal ou pas appliquées.

Alors, réformer le Code du Travail de cette manière n’est pas seulement innover dans le seul domaine du droit social. C’est aussi et surtout une autre manière de faire œuvre législative ; une façon de donner à chaque loi davantage de force en limitant le nombre de textes soumis au Parlement. Une autre manière de concevoir le rôle de l’Etat en réduisant son domaine d’intervention. Une manière de donner plus de force à la liberté contractuelle, de faire davantage confiance aux acteurs économiques et aux partenaires sociaux. Enfin !

* « Le Travail et la Loi » par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen éditions Fayard

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