Les malentendus d’une « guerre de civilisation »

Sommes nous donc entrés dans une « guerre de civilisation » ? La question mérite réflexion tant l’expression a pu susciter la polémique au motif qu’elle signifierait implicitement une opposition belliqueuse entre notre civilisation et une autre. Cette autre dans laquelle une commune obsession désignerait l’Islam et le monde musulman. Et pourtant, à regarder de près les textes, le terme de civilisation a été, dans les déclarations qui font l’objet de critiques, employé au singulier. Il n’y aurait donc pas de volonté d’opposer une civilisation à une autre.

Au demeurant, chacun s’accorde à reconnaître que les djihadistes de Daesh et leurs affidés ne sont aucunement porteurs d’une civilisation. En effet, ce mot ne s’applique qu’à des constructions humaines élaborées où la culture et la religion, les arts et les techniques, la science et l’architecture, l’organisation sociale et économique sont étroitement imbriqués dans un ensemble cohérent et inscrit dans l’Histoire. Rien de tout cela dans Daesh dont la violence sanguinaire et la folie destructrice résument le projet. Un projet qui répond au seul mot de barbarie. Si guerre il y a, et l’on peut s’accorder sur ce point, c’est donc bien une guerre qui oppose le monde civilisé à la barbarie.

Pourquoi, cependant, cette gêne qui demeure ? D’abord, parce les mots employés oralement laissent planer un doute, font croire à ceux qui veulent l’entendre ainsi, que le terme de civilisation est employé au pluriel. Or, sur un tel sujet, laisser la moindre possibilité d’interpréter ses propos dans un sens contraire à ce que l’on affirme constitue une faute politique. Car cela ne peut que flatter ceux qui s’obstinent à voir dans l’Islam et le monde musulman des adversaires ou des ennemis de notre civilisation. Ensuite, cela ne peut qu’être perçu par les musulmans que comme l’expression d’une volonté implicite de les exclure. C’est là que la polémique prend son origine et tout sons sens.

Mais enfin et surtout, cette notion de « guerre de civilisation » repose sur l’idée que non seulement des civilisations s’opposent, mais que de surcroît, l’une – nécessairement la nôtre – serait supérieure aux autres. Cette idée est, pour le moins, malencontreuse. D’abord en raison des crispations qu’elle peut générer, mais aussi et surtout parce qu’elle occulte une double réalité. D’une part, nos pays démocratiques peinent à faire face aux défis auxquels ils sont confrontés (crise économique, crise démocratique, phénomènes migratoires, menace écologique…) et semblent parfois ne plus respecter les valeurs de la civilisation dont ils se réclament. Une civilisation qui douterait d’elle-même, en quelque sorte. Et, de l’autre, des sociétés de pays en développement peinent à s’adapter à la mondialisation, à l’ouverture des frontières, à la confrontation des cultures et des modes de vie et, dans le désarroi, sont tentées par le repli sur soi.

Alors, la « guerre de civilisation » ne serait-elle qu’une facilité de langage pour éviter de regarder cette réalité en face ?

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