Ranimer la République ?

Quand sortirons-nous de ce face à face mortifère ? D’un côté les partisans d’un candidat potentiel à l’élection présidentielle avec ses imprécations contre l’Islam, ses provocations, ses approximations, sa façon pour le moins nauséabonde de réhabiliter Pétain en omettant les lois anti-juives d’octobre 1940…. De l’autre, moins visibles peut-être, mais pas moins actifs, les tenants d’une culture de la « déconstruction » où se mêlent les anathèmes contre les mâles blancs hétérosexuels, la quête de revanche d’arrière petits-enfants de peuples colonisés, la tolérance à l’égard de pratiques plaçant les femmes en situation de soumission au bon-vouloir des hommes, la volonté de minorités sexuelles de réduire à néant l’altérité des sexes…

Il y a là les deux faces d’un même mal, cette volonté de nous assigner à résidence en fonction d’une identité supposée, déterminée par notre couleur de peau, notre sexe (ou notre orientation sexuelle), notre religion, notre culture d’origine… Paradoxe : en cherchant à se combattre elles se nourrissent l’une l’autre. Au communautarisme des uns répond le repli sur soi d’une France nostalgique d’un passé fantasmé, d’une France apeurée face à des mutations qu’elle ne comprend pas et qu’elle ne maîtrise pas. Et nous voilà pris en otages, sommés de rentrer dans l’un ou l’autre camp faute de voir émerger un discours vigoureux qui nous inviterait à tracer notre voie autrement.

Mais si nous affirmons que la République, ce n’est ni l’un ni l’autre de ces visages que nous renvoient le spectacle de cette pré-campagne électorale, pourquoi en est-on arrivé là ?

Bien sûr, la culture du clash des médias et des réseaux sociaux y contribue largement. Lorsque des interviews sont rythmés toutes les quinze secondes par des questions, cela laisse peu de place aux développements, aux explications. La pensée se réduit à sa plus simple expression et l’on devient collectivement incapables d’affronter la complexité. Lorsque des animateurs d’émissions de divertissement deviennent les arbitres de débats qu’ils ne maitrisent pas, ils privilégient les bons mots, la formule assassine, les coups de gueule et se réjouissent dès lors qu’un invité sort de ses gonds : le spectacle avant tout !

Mais ce serait trop facile de ne s’en prendre qu’aux responsables de chaines de radio ou de télévision qui, les yeux rivés sur les courbes de l’audimat, ne font après tout que de nous servir une soupe que l’on qualifie d’insipide mais qui draine un public friand de ces affrontements…

Force est de le reconnaître aussi, ce qui nous saute aujourd’hui à la figure, ce sont des décennies d’incurie. Parce que l’assimilation des populations d’origine étrangère pouvait être ressentie par certains comme une forme de violence visant à nier leurs cultures et leurs spécificités, nous avons oublié de les intégrer. Parce que nous avons eu peur de la cohabitation, nous les avons reléguées dans des quartiers éloignés des centres-villes. Parce que – au nom de la tolérance religieuse – nous avons eu peur de stigmatiser telle ou telle catégorie, nous avons laissé se développer un séparatisme et laissé se créer des « territoires perdus de la République ». Ceux-là même qui sont gangrenés par le chômage, les trafics de toutes sortes, la violence.

La République, ce n’est pas seulement la démocratie. C’est aussi un ensemble de valeurs singulières qui constituent en quelque sorte un pré-requis de l’appartenance à la communauté nationale. Or, si ce pré-requis n’est plus partagé, c’est d’abord parce qu’il n’est plus enseigné. Au-delà, dans notre société fracturée, chacun tire à hue et à dia pour défendre ses intérêts et ses particularismes, sans se soucier du bien commun. Faire sécession semble devenir la règle : sécession des privilégiés qui ont le monde pour horizon et l’Europe pour terrain de jeu ; sécession de ceux qui sont condamnés à vivre sur leur territoire qu’il soit rural ou péri-urbain et tentent d’y survivre ; sécession de ceux qui affichent leur haine de notre pays… Comment voulez-vous que la République ne paraisse pas parfois moribonde ?

Face à la tentation d’abandonner cette dernière parmi les scories d’un passé révolu, la reconquête ne passe pas par la réaffirmation d’une identité qui se réduirait aux prénoms ou à la réécriture d’un roman national faisant fi de la vérité historique. Elle passe par la réactivation de la devise républicaine. La liberté indissociable de la responsabilité de chacun. L’égalité de droits et de devoirs, contraire d’un égalitarisme qui ne vise qu’à donner sans rien exiger en retour. Egalité des femmes et des hommes qui mette fin à la soumission à un patriarcat, quelle qu’en soit l’origine. Egalité face à la protection de l’Etat, en matière de santé, mais aussi protection des personnes et des biens face à la violence…

C’est une égalité fondée sur une conception de la fraternité consistant à voir dans un adversaire une personne à écouter et à respecter quelles que soient les différences et les divergences. Parce que sans fraternité, il n’y a pas de débat démocratique. Il n’y a que des confrontations qui débouchent sur la violence des mots, antichambre de la violence tout court.

Pour ranimer la République, redonner corps à notre devise républicaine, nous avons encore quelques semaines, quelques mois tout au plus. Encore faudra-t-il pour cela abandonner notre fascination pour les vieux démons du ressentiment et de la haine qui ont envahi nos antennes et les réseaux sociaux…

 

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