Kaboul : l’impuissance, la honte, et après ?…

Pourrons nous dire que nous ne savions pas ? Les foules afghanes qui se pressent sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul, les commerçants qui repeignent leurs devantures pour en chasser les images montrant des femmes nous disent assez clairement la peur qui s’instaure en Afghanistan. Les témoignages qui proviennent des zones déjà conquises montrent d’ailleurs que les talibans n’ont, malgré des déclarations apaisantes, aucunement renoncé à leurs sinistres pratiques. Pas de surprise donc à attendre quant à l’instauration prochaine de la charia dans le pays. Prélude pour certains au fait que le monde devrait connaître tôt ou tard le même sort…

La faillite d’un état et d’une armée gangrenés par la corruption et incapables de faire face à la progression de bandes armées est stupéfiante par sa rapidité. Depuis des décennies, les puissances occidentales ne sont pas parvenues à surmonter la malédiction qui frappe ce pays livré aux chefs de guerre et aux trafiquants de toute sorte. Pour contrer l’intervention de la Russie soviétique engagée en décembre 1979, les USA avaient tenté d’instrumentaliser les talibans. Mal leur en a pris. On connaît la suite, et l’on peut comprendre l’impatience des américains à quitter aujourd’hui le terrain hasardeux qu’ils avaient investi après les attentats du 11 septembre 2001. Il n’en reste pas moins que ce départ et la facilité déconcertante avec laquelle les talibans ont conquis le pays interrogent et inquiètent.

Interrogent d’abord car on serait tenté de dire « tout ça pour ça », après des années et des milliards de dollars injectés dans un état et une armée qui malgré des moyens considérables s’est montrée incapable d’assurer la sécurité du pays. L’effondrement de cet état et la prise de pouvoir par les talibans auront de lourdes conséquences géopolitiques. Et pas seulement dans cette région d’Asie centrale. La Russie, la Chine, la Turquie se préparent à tirer parti de cette situation. Et, soyons en sûrs, ce ne sera pas dans l’intérêt des démocraties. Mais au-delà de nos interrogations pour l’avenir, il ya l’urgence immédiate.

Or, si nous sommes impuissants à soulager le sort des Afghans, et singulièrement des femmes, nous voilà devant un cruel dilemme. La panique règne à Kaboul. Le simple devoir humanitaire nous imposerait d’y faire face, et de prendre en compte ceux qui craignent pour leurs vies. Pour autant, peut-on accueillir un nouvel afflux massif de réfugiés ?

A cela, certains répondent par une argumentation somme toute assez simple : « nous n’avions rien à faire chez eux, ils n’ont rien à faire chez nous »*. Bref, zéro accueil, chacun chez soi, ils n’ont qu’à se dém… ! Facile à dire, car cette argumentation ne tient pas compte de la réalité ! Est-on si sûr, d’abord, que nous n’avions « rien à faire » chez eux ? Faut-il oublier que l’Afghanistan a été à la fois camp d’entrainement et base arrière pour les terroristes qui ont semé la mort dans nos villes ? Faut-il oublier que c’est précisément pour mettre fin à cette situation que les puissances occidentales y ont envoyé des troupes ?

Faudrait-il alors passer par pertes et profits les 90 soldats français qui y ont perdu la vie et ceux qui, par centaines, en sont revenus le corps meurtri ? Ceux qui osent dire que nous n’avions « rien à y faire » auront-ils le courage d’aller expliquer aux familles de ces soldats qu’ils ont versé leur sang pour « rien » ?

Quant à l’affirmation selon laquelle « ils n’ont rien à faire chez nous », observons que des femmes et des hommes de ce pays se sont engagés dans le combat pour la paix et la sécurité, la dignité des femmes, l’éducation, la culture, la santé… Ils ont adhéré à nos valeurs. Ils ont tenté de bâtir un pays qui sorte enfin de l’obscurantisme. Faut-il abandonner ces femmes, ces journalistes, enseignants, médecins, avocats, militants des droits humains à leur triste sort, aux poursuites, aux sévices et à la mort qui les attendent ? **

Et n’oublions pas ces guides, ces interprètes qui ont accompagné nos troupes dans leurs missions.

Souvenons-nous de la guerre d’Algérie et de l’abandon des harkis et de ceux qui s’étaient engagés aux côtés de la France, les condamnant ainsi à une mort certaine ! Faudra-t-il ajouter le sang, la honte et le déshonneur à notre impuissance ?

Alors, se résignera-t-on au lâche soulagement des américains qui quittent ce pays où ils ont perdu tant d’hommes et dépensé des milliards de dollars ? Faut-il se perdre dans les arguties juridiques qui condamnent l’Union européenne à l’immobilisme ? Faut-il jouer la montre en laissant les candidats à l’exil se heurter aux méandres administratifs et au mur de nos procédures d’accueil ? Pour autant, ne soyons pas dupes de l’effet d’aubaine que cette situation entraîne pour ceux qui, dictature des talibans ou pas, souhaitaient émigrer vers l’occident. A l’évidence, nous ne pourrons les accueillir sans discernement…

Demain en Afghanistan, les fillettes seront privées d’école, l’éducation sera placée sous la férule de barbus incultes, les jeunes filles livrées à des mariages forcés qui ne sont qu’un trafic d’esclaves sexuelles, les femmes condamnées à la burka et à l’enfermement. Nous nous désolerons. Nous pétitionnerons. En vain. Pourtant, là bas, la résistance s’organise. Elle est isolée, dispose de peu de moyens, mais elle a la certitude de mener le juste combat, celui de la justice, de la vérité et de l’honneur. Saurons-nous lui apporter l’aide dont elle a besoin ou la sacrifierons-nous pour ne pas froisser les nouveaux maîtres de Kaboul ?

Chez nous, le triomphe des talibans à Kaboul donnera des ailes à ceux qui cherchent à mettre la main sur les cœurs et les corps de jeunes de nos banlieues en mal de revanche sur un destin qui leur échappe. Et pour ne pas déplaire à ceux-là, pour se donner l’illusion de maîtriser la situation, leur céderons-nous peu à peu du terrain ? Une fois de plus.

* Propos tirés d’un tweet d’Eric Zemmour.

** De ce point de vue, la déclaration des talibans annonçant une « amnistie » pour les fonctionnaires est préoccupante et mérite d’être décodée. Il ne peut y avoir d’amnistie que pour ceux qui ont enfreint la loi. Or, parler d’amnistie pour ces fonctionnaires signifierait que leur action était jusque-là illégale. Non seulement les nouveaux maîtres de Kaboul considèrent ainsi le précédent régime comme illégitime, mais de surcroît, et c’est le sens de cette déclaration, ils entendent imposer leur loi de manière rétroactive. Enfin, si les fonctionnaires sont concernés par cette « amnistie », cela laisse entendre a contrario que les autres catégories ne le seraient pas… Ainsi, derrière une déclaration qui se veut rassurante, se cachent des projets autrement inquiétants !

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