Liberté, liberté chérie…

Décidément, rien ne nous sera épargné. Pas même les délires de ceux qui ne reculent devant aucune provocation, les plus grossières soient-elles ! Voilà que l’on entend imposer la vaccination aux personnels soignants et l’on aurait basculé dans la dictature ! Voilà que le pass-sanitaire, preuve de vaccination deviendrait obligatoire pour fréquenter certains lieux publics et l’on crie à la discrimination ou, pire encore, à une mise en cause de la liberté d’aller et venir !

Soyons sérieux ! Et faisons preuve de décence car s’insurger contre la dictature que serait devenue notre pays est une insulte non seulement au bon sens mais, pire encore, fait injure à tous ceux qui, de Cuba à Hong-Kong, de Damas à Moscou, de la Turquie à la Biélorussie se battent pour la liberté de leurs peuples en dépit de la torture et des menaces de mort. On aurait aimé entendre plus souvent ceux qui poussent des cris d’orfraie donner de la voix pour défendre les opposants et militants des droits de l’homme poursuivis et emprisonnés sous d’autres cieux que les nôtres ! Mais pour ceux-là, l’indignation est sans doute à géométrie variable…

Et ne parlons pas des images indignes qui assimilent la vaccination au port de l’étoile jaune et le pass-sanitaire à l’entrée dans les camps de la mort. Ceux qui osent les diffuser ajoutent à la bêtise crasse l’ignominie la plus abjecte.

Ils crient liberté, liberté, mais savent-ils encore que liberté rime avec responsabilité ? Et en l’espèce, responsabilité de ne pas se faire contaminer et de ne pas contaminer les autres. Faut-il crier à la dictature en raison du port obligatoire de la ceinture de sécurité en voiture ou de la limitation de vitesse à 130km/h sur les autoroutes ? Et pour paraphraser un slogan utilisé voilà quelques années dans les campagnes de lutte contre le Sida, quand affirmera-t-on : « La Covid ne passera pas par moi… » ? Un slogan qui dit bien un objectif de protection à la fois personnelle et collective.

Sans doute nous objectera-t-on que nos gouvernants ont failli. Le mensonge initial sur les masques ; des cafouillages dans la gestion de la crise dus pour une large part à l’hypertrophie d’un état si obèse que la souplesse nécessaire en temps de crise lui fait défaut ; des erreurs de communication sur les vaccins qui sont autant de causes de la défiance que l’on observe aujourd’hui. Cela nous autorise-t-il pour autant à verser dans la plus totale mauvaise foi ?

Reconnaissons-le, derrière cette polémique, se cachent deux réalités. L’une est anecdotique, l’autre plus grave. L’anecdotique tient au fait que seule la haine de Macron alimente une large part de ces critiques. La détestation dont le Président de la République fait l’objet pousse nombre de ses contempteurs à affirmer tout et son contraire, jusqu’à se prendre enfin pour les derniers défenseurs de nos libertés… On a les courages qu’on peut ! Tout cela n’a que peu d’importance, même si la perspective des élections présidentielles dans moins d’un an les pousse à hausser le ton sans pudeur ni crainte du ridicule.

La réalité plus inquiétante tient à l’incapacité dans laquelle nous sommes désormais de débattre de l’intérêt général sans basculer dans l’invective. Haïr sans mesure est devenu la meilleure manière d’accroître son potentiel de reprise sur les réseaux sociaux et d’accéder à certains plateaux de télévision. Comment s’étonner alors que la nuance en soit bannie et que nous soyons dans l’incapacité de traiter des questions complexes qui s’imposent à nous ?

Et pour revenir à la liberté, si l’on ne veut ni verser dans le complotisme de ceux qui se déchainent, ni se satisfaire de disserter de façon abstraite sur ce sujet, il ne serait cependant pas inutile d’engager une réflexion sur l’avenir de nos libertés face aux menaces qui s’accumulent pour nos sociétés.

Nous avons été confrontés au terrorisme (et la menace n’a pas disparu…) ; nous combattons une pandémie inédite, et nous connaîtrons demain les menaces du dérèglement climatique. Face au terrorisme, la réponse sécuritaire a abouti à la multiplication de législations qui ont insidieusement modifié notre système de droit en accroissant les pouvoirs de l’administration, y compris la police, et en réduisant l’intervention du juge. Face à la pandémie, nos libertés les plus élémentaires ont été provisoirement suspendues. Sans que cela ait fait l’objet de contestation radicale.

Demain, le dérèglement climatique, les événements météorologiques d’une extrême violence* conduiront nos dirigeants à prendre des mesures d’autant plus radicales qu’ils en auront retardé la mise en œuvre. Songerons-nous alors à protester contre des atteintes à nos libertés ?

La manière dont certains élus écologistes traitent les questions de mobilité urbaine, l’absence de concertation dans l’implantation d’éoliennes dont on camoufle soigneusement l’impact environnemental, ont déjà donné l’impression qu’une « dictature verte » était en route. Et certaines voix, en réclamant par exemple que soient interdits d’antenne celles et ceux qui mettraient en doute le réchauffement climatique, donnent une idée inquiétante de leur manière de concevoir le débat démocratique…

Tout en refusant leurs diktats et sans pour autant basculer dans la dictature, reconnaissons que notre rapport aux libertés va peu à peu se modifier. Sans doute parce que nous aurons progressivement pris conscience que les menaces auxquelles nous sommes confrontés n’ont pas une dimension individuelle, mais collective. Avec un enjeu qui n’est autre que notre survie à tous, celle de nos enfants, de nos petits-enfants.

Nous avons vécu des décennies de l’individu-roi. Sans en avoir vraiment pris conscience, nous avons désormais changé de paradigme. Et la question qui nous est désormais posée est comment jouer collectif tout en veillant au bien le plus précieux qu’est notre liberté. En somme, comment conjuguer liberté et fraternité ? Voilà une réflexion qui vaut mieux que quelques invectives…

* Les pics de chaleur et les incendies récents dans le nord ouest américain, les pluies diluviennes et les inondations en Belgique et en Allemagne, etc. en sont autant de signes avant-coureurs.

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